Presque plus une vignette provençale cinématographique qu'un film à proprement parler. La frontière entre caricature de film est-sudiste et authentique récit rural n'est pas toujours évidente, mais malgré tous ces jeux théâtraux aux accents très marqués et au vocabulaire fleuri ont un charme délicieusement suranné.
"Jofroi" est avant tout un film de comédiens, certes insérés dans un décor très particulier, mais qui ne fait que les porter. Sur le devant de la scène, Vincent Scotto dans le rôle-titre, originellement compositeur mais reconverti en acteur pour interpréter ce vieux paysan bourru qui menace de se suicider dès lors qu'il apprend que l'acheteur de son verger entend abattre tous les arbres pour en faire une culture céréalière. C'est Henri Poupon qui lui donne la réplique, dans un rôle à la Raimu, très excessif dans son jeu (comme tous les autres ceci dit) mais vecteur d'une naïveté enfantine caractéristique de certains personnages de l'univers de Pagnol, renforcée par les personnages secondaires instruits (l'instituteur et le curé, traditionnellement, avec leurs bons mots et le fameux "sophisme"). Dans l'arrière-plan, l'épouse de Jofroi cantonnée à de la figuration même si on sent que Pagnol essaie de montrer son importance en dépit de la dévalorisation des autres personnages.
Le running gag du film porte sur les multiples tentatives de suicide de Jofroi, qui essaie de se pendre à un arbre ou à un autre, inventant ainsi un chantage morbide semant la confusion chez Poupon — on apprendra au détour d'un dialogue qu'il aura fait d'autres tentatives plus exotiques, avaler des clous, boire du poison, etc. Le film porte une morale un peu désuète, qui ne va pas sans lourdeurs après réception 90 ans plus tard, illustrant une sorte de bon sens paysan enfoui derrière le caractère têtu de Jofroi — un gars qui emmerde tout le monde mais qui reste attaché sentimentalement à ses vieux arbres improductifs.