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La résistible fabrication du Monstre

Sur le papier Joker tient du formidable pari, celui d'un cinéaste habitué aux comédies balisées à se lancer dans le brûlot politique. En faiseur avisé, il emprunte le vaisseau d'une icône contemporaine, le Joker pour en faire le produit, reflet de notre époque. Pour en *faire*une victime,au cas où vous l' auriez pas compris...L’enchaînement surchargé de pathos des violences que subit Arthur Fleck en peu de temps crée une onde puissante d'empathie nécessaire à fin de légitimer sa vengeance. Que ceux qui n'étaient pas de toute rage avec lui quand il règle son compte à ces connards de yuppies*-salauds de riche!* lèvent la main et assument leur hypocrisie.


Les Grecs Anciens nous enseignent que la Tragédie pouvait servir de catharsis à nos passions.
Philipps a choisi de la mélanger avec la Comédie qui fait tomber les masques, dévoile les travers. Du mélange des deux jaillit une troisième voie, oeuvre narcissique miroir du déferlement des nos pulsions collectives. L'ex-cinéaste comique voudrait-il être pris au sérieux comme le clown voudrait apporter ce qu'il a toujours échoué à donner pour recevoir? ( notez le caméo que s'offre le réalisateur en comique de stand up faisant son numéro avant Arthur... )


Arthur Fleck l'avoue dans sourciller, et le jeu de Joaquin Phoénix comme la mise en scène se chargent de surligner qu'il est empli d'une jouissance perverse tout juste retenue: il aurait dû se sentir mal après les crimes qu'il a commis. Or ce n'est pas le cas, il se sent même mieux. Ce qu'il a libéré, ce sont donc des pulsions morbides, de destruction. Lui dont l'odyssée personnelle était une quête d'amour se transforme en projet de destruction. Passer d'un extrême à l'autre est le propre même de l' immaturité, de l' adolescence. Le réalisateur prend garde à nous sur-signifier qu'il a lutté avant d'y succomber, tant la tentation était grande. Comme Eve tenta Adam, Randall appâte Arthur. Il est son Iago. Sauf que dans la pièce shakespearienne, le monstre nègre ( sic) Othello, aveuglé, s'en prend à celle qu'il aime, cruelle Tragédie qui nous éclaire sur la part d'ombre en chacun de nous, là où Joker sait se venger de ceux qui lui font du mal, les méchants. D'abord malgré lui, l'acte de tuer devient un choix qui n'est pas sans nous troubler.


La trajectoire ainsi dessinée aussi radicale soit -elle est un choix artistique puissant, minoré hélas par les moyens employés.
Combien sont-ils, je vous le demande, les personnages de ce film traités avec nuance? Autrement que comme des caricatures de bad guys , good guys, ou des abrutis. Les deux cons de flics ont eu ce qu'ils méritaient vous ne trouvez pas? S'ils avaient eu un peu de jugeotte,- ne parlons pas d'intelligence-c'est illico qu'ils l'auraient arrêté cet Arthur au lieu de le torturer, comme ça. Et la salle de cinéma emplie de gilets jaunes à l'intérieur des spectateurs jubila, comme Joker, devant ce qui leur arriva. Le summum de la gêne fut atteint lorsque de jeunes gens perchés au fond éclaboussèrent la salle de leur rire du nain tentant désespérément d'ouvrir la porte. Cette réaction était-elle l'effet voulu par le réalisateur? Nous tendre le miroir de cette monstruosité en nous? Nous dire que nous contribuons collectivement à créer des Joker comme la société américaine fabrique Tueurs de masse, et notre société des Terroristes bâtis sur le ressentiment?
Todd Philipps devant les accusations d'apologie de violence qu'il essuya, et le climat tendu rapporté par les médias dans certaines salles aux EU, s'en défendit.
( A mon grand soulagement, je dois confesser avoir ressenti de l' empathie pour ce petit freak, comme j 'en eus à revendre pour tous ces innocents d'enfant qui peuplent le film... à l'exception de Bruce réduit à l'état de spectateur permanent, pantin miniature de son père immonde? Une brute de plus qui se rabaisse à frapper le pauvre Arthur. Qui lui réclamait seulement, pathétique, des miettes d'amour. Et la compassion bordel ? C'est pour les chiens ? Je vous le demande! )


La folie provoquée par des traumatismes d'enfance, et le cortège des violences contre lui, l'humiliation publique du rire de, le tableau cauchemardesque de l' Amérique, rien de moins convenu.


Si vous êtes un cinéphile exigeant, vous aimez être surpris par un film qui vous offre le délice du sentiment de la révélation. A moins que vous fûtes adepte de la citation, de l' Hommage suant de tous les porcs, ce retors de réalisateur pompant allègrement le cinéma contestataire new yorkais des années 70-80 quand la ville était encore sale. Il l'affiche sans vergogne s'amusant à déjouer les critiques par un brillant transfert de Robert de Niro en paratonnerre. Les stars d'aujourd'hui ne sont plus des artistes mais ceux qui jouent du tam-tam médiatique. Un peu dépassée comme charge, le talk show n'a plus l'aura de son âge d'or...
** Vol au dessus d'un nid de coucous , Network**, Taxi Driver et La valse des pantins ( qui provoqua un malaise comparable en moi ) de Scorsese sont les prestigieux parrains du film. Les rois mages saluant la naissance du Joker. L'enfant martyr, le juif errant, l'esclave nous offrant son dos pour qu'on le flagelle...


Au cas où vous voudriez regarder le vrai visage de l' Amérique, le vrai Gotham et non sa version ostensiblement stylisée, allez visionner la série The Deuce de David Simon et George Pelecanos.
Avec le sens de la dignité humaine qui les caractérisent , ils peignent avec talent des êtres humains pris dans les affres de prostitution, du porno, de l' épidémie du sida, tous emportés par le grand nettoyage opéré par les autorités au cours des années 70/80. La violence s'y dévoile sans apprêt et sous toutes ses facettes là où Philipps préfère se complaire dans la fascination de son spectacle, quel pied putain que ce déchaînement de rue du bas peuple, ces sauvageons qui acclament leur héros ! Gustave Le Bon, fin psychologue du XIXème siècle aurait adoré l'illustration brillante de sa thèse , ce guêpier de plus où se fourre le réalisateur américain mais dont il s'extirpe avec souplesse: il est fou on vous dit, le pauvre Joker...
C'est un peu court non ? Qu'on ne s' y trompe pas, plus qu'une réincarnation de l 'homme qui rit, il est, sous le regard de son recréateur, le produit de la lecture psy américaine de la seconde guerre mondiale; Arthur et Adolf même combat d'artistes ratés. Soudainement trop lucide et vain porte-parole de la noire colère du réalisateur contre l' Amérique trumpienne.


Le jury de la Mostra de Venise fut diablement avisé, en consacrant le réalisateur, d' oublier de son palmarès Joaquin Phoenix, seul acteur capable de maîtriser le surjeu pour laisser affleurer l' 'humanité du personnage. Seul, terriblement seul au milieu de ce désert peuplé de zombies. A sa place fut récompensé Lucas Marinelli serviteur inspiré du portrait magnifique d'humanité de Martin Eden recréé ( décidément! ) par Pietro Marcello.

N'aurait-il pas été judicieux d'inverser ? D'encenser ce film pétri d'humilité empathique, plutôt que
cet avatar grossier et brillant, narcissique et pervers de notre époque. Qu'elle mérite, diront certains. Et dont je me sens incapable de lui attribuer une note*, ce qui n'est pas le moindre de ses paradoxes.


Du haut de son Olympe de privilégié, Philipps contemple-t-il désabusé le désastre ? Un sentiment d'impuissance domine le film. La prodigieuse scène où l' élite rit sans arrière-pensée devant les Temps modernes de Chaplin est à ce titre troublante par le malaise qu'elle peut instiller. On ne sait plus voir, ou l'on ne veut plus regarder, alors le cinéaste nous montre l'avatar de notre monde. Hanté par nos démons vous dis-je...



  • Ce 5 est juste le choix que j'ai été obligé de faire afin d'avoir le droit de publier ma critique.

PhyleasFogg
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le 10 nov. 2019

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PhyleasFogg

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