Ce n'est pas du réalisateur des bouses que ce sont les deuxième et troisième volets de The Hangover que je me serais attendu à voir réaliser un film sur un futur méchant de super-héros plus proche de Taxi Driver que de l'avalanche étouffante de Marvel et Cie que le spectateur bouffe aujourd'hui comme il le ferait avec du pop-corn, dans un cinéma où les studios Disney possèdent pratiquement tout. Et pourtant, il faut bien accepter ce genre de cas invraisemblables, mais, malgré tout, vrais qui peuplent le domaine artistique depuis la nuit des temps.
Peut-être que si j'avais connu l'ensemble de la carrière du cinéaste, et non pas en me focalisant simplement sur ce que j'ai vu de lui avant, c'est-à-dire la trilogie The Hangover, je n'aurais pas été autant surpris que cela . Mais je ne pourrai répondre à cette question que quand j'aurai vu l'intégralité des œuvres de la filmo de Todd Phillips. Ce qui n'est pas bien sûr le cas lorsque j'ai regardé Joker.
Bon, que penser de ce film en dehors de l'aspect surprenant que prend ce film dans le paysage cinématographique aujourd'hui et par rapport à son réalisateur.
Tout ce portrait en toile de fond de ce New York des années 1980, euh pardon correction, de ce Gotham City des années 1980, est très révélatrice de notre époque dans laquelle les riches sont plus riches que jamais et où les pauvres sont plus pauvres que jamais, où les inégalités ont rarement été aussi criantes. Avouez que pour le commun des mortels, la première scène dans le métro est incroyablement jouissive. Joker est un loser, un opprimé et un laissé-pour-compte, un type qui aurait besoin d'amour, d'attention, de compassion, essayant de passer son désespoir dans un rire frénétique et compulsif, qui va trouver sa raison d'être dans la haine et la violence aveugles. Un portrait auquel on s'identifie plus qu'on ne le voudrait.
Pas étonnant que l'ensemble fasse énormément référence à Taxi Driver et à The King of Comedy ; l'univers scorsesien a donné à travers ses films deux losers dans lesquels on aurait bien voulu, là aussi, beaucoup moins se reconnaître.
Mais surtout Joker de Todd Phillips est le film d'un acteur. L'immense Joaquin Phoenix (pour moi, le plus grand comédien de sa génération !) domine le tout du début jusqu'à la fin. On ne voit que lui, on ne prête qu'attention qu'à lui, il écrase tout sur son passage. Même Robert De Niro, ici pour renforcer la référence à Scorsese, ne parvient pas vraiment à exister. Il n'y a pas un instant dans le film, où Phoenix n'est pas mis en valeur. Une qualité saupoudrée de défauts, on a l'impression que tout s'écroulerait sans Phoenix. Mais il y a Phoenix, donc tout tient.
On peut reprocher aussi quelquefois un scénario qui ne fait pas suffisamment confiance à son spectateur. C'est surtout visible à un moment précis de l'intrigue.
On sait tout de suite très bien que la relation amoureuse était uniquement dans la tête du protagoniste, pas besoin de la scène où il pénètre dans l'appartement de sa "compagne" pour nous l'expliquer. Ce serait oublier que le spectateur lui-même se fait aussi, de temps en temps, des films dans son esprit.
Par contre, la dernière scène est un excellent final,
car elle révèle que la violence du protagoniste ne s'adresse plus qu'aux méchants, épargnant bien les gentils ; à partir de ce moment, tout le monde peut être une victime potentielle.
Que dire globalement de ce film ? Est-ce qu'il restera dans l'histoire ? Est-ce que ses limites ne le feront pas tomber dans l'oubli, occultant ainsi sa carrière surprenant dans le cinéma d'aujourd'hui et l'acteur qui domine ? George Stevens disait qu'il fallait attendre un quart de siècle avant de connaître la véritable valeur d'un film et c'est vrai. Donc les seules choses que je peux dire pour l'instant, c'est qu'un tel film à notre époque, produit par Hollywood, ça fait du bien, et qu'on a la confirmation que Joaquin Phoenix est un géant.