Dès l’annonce du projet de faire une suite au “Joker” de Todd Phillips, des sourcils ont commencé à se lever. Oui, le film de 2019 était une incroyable réussite, une proposition sombre, intelligente et novatrice sur la figure de l’antagoniste le plus populaire de la pop culture. Oui, Phillips avait achevé un brillant travail de mise en scène, mis au service d’un comédien au plus haut de son art. Ne refaisons pas la critique du premier “Joker”, mais je le tiens comme étant un grand film, qui plus est dans l’univers superhéroïque (maussade depuis quelques temps), une œuvre puissante et signifiante qui posait les jalons d’un renouveau pour DC. Preuve en est : le film avait remporté le Lion d’Or à Venise, deux Oscars (entre autres récompenses) et plus d’un milliard de recettes au box-office mondial. Un succès grandiloquent, et mérité.
Oui mais, le “Joker” de 2019 était également un film qui se suffisait amplement à lui-même, doté d’une fin magnifique et parfaitement satisfaisante en l’état, le personnage du Joker ayant finalement supplanté à celui d’Arthur Fleck et le jeune Bruce Wayne entamant son ascension suite au décès de ses parents. Tout était réussi, cohérent, justifié. Alors à quoi bon faire une suite ? Est-ce pour les bonnes raisons ? Pour l’amour du cinéma et des comics ? Ah, peut-être pas... plus d’un milliard au box-office, vous dites ?
Cette “Folie à Deux” prend presque le pari de se tourner en huis-clos, le plus fort de l’intrigue se déroulant entre les murs froids et poisseux d’Arkham, sorte de prison-asile tenant plus du purgatoire que du lieu carcéral. Les prisonniers sont, sans nuances, complètement sociopathes et régulièrement malmenés par des geoliers qui lorgnent plus vers le comportement de tortionnaires sadiques que de gardiens de la paix.
À la seule énonciation de ce postulat, on pourrait légitimement croire à un film, à l’instar du premier, hautement politique voire engagé. Sauf que non, sur la question des conditions carcérales, “Joker 2” (appelons-le ainsi) n’a finalement pas grand chose à dire, et ne va utiliser son décor que comme... un simple décor, justement. Il est dommage de si peu caractériser un lieu, et d’avoir si peu à en dire (surtout sur l’asile d’Arkham, établissement cultissime de l’univers Batman), qui plus est lorsque les trois quarts de l’intrigue se déroulent entre ses murs. Cela initie donc une sorte de redondance et de machinalité dans les déambulations du Joker en captivité, toutes ces longues séquences semblant donc au final un peu creuses.
Il en va de même pour les parties se déroulant au tribunal, le métrage relatant avant tout le procès ultra médiatisé du Joker. Le film nous présente une situation dans laquelle un meurtrier va être érigé en martyr par une société qui ne supporte plus l’aveuglement et les abus d’une caste supérieure qui passe autant de temps à l’ignorer qu’à dire, dans le vent, qu’elle souhaite l’aider. Comme dans le premier finalement, avec les émeutes menant à la naissance du Joker face à une foule déchaînée. Ce second opus vient parler de la nocivité de l’omniprésence journalistique, qui va faire du parcours judiciaire d’un assassin une sorte de feuilleton télévisé.
Une fois encore, le film semble donc être éminemment politique, et continuer sur les pistes abordées par le “Joker” de 2019. Mais une fois encore, “Joker 2” n’en fera vraiment rien. Toutes les thématiques idéologiques, politiques et artistiques abordées par le métrage ne sont que de simples dispositifs de contexte, boursouflés par une mise en scène maîtrisée mais bien trop grandiloquente pour le peu que les images ont à dire.
En résulte une proposition de cinéma déséquilibrée : jolie dans sa pratique, inintéressante (au mieux) voire inutile dans son développement. Et c’est là que réside la grande erreur de ce Joker, qui n’aurait jamais dû voir le jour ; il s’agit d’une suite commandée par des studios motivés par la seule envie de reproduire les retombées économiques d’un premier opus qui ne demandait décemment par d’être poursuivi. Et ce manque d’intérêt se ressent, à dessein ou non par celui-ci, dans les efforts que met Todd Phillips à l’ouvrage.
Si le cinéaste était exceptionnellement inspiré en 2019, il se retrouve aujourd’hui dénué de toute envie et de toute âme, semblant nous crier au travers de chaque photogramme son manque d’intérêt le plus total à l’idée de replonger dans cet univers. Il avait tout dit avec son premier volet, et cette “Folie à Deux” n’a donc de folie que son titre, son metteur en scène lui-même ne croyant jamais à son projet.
Par quoi se traduit ce manque global d’intérêt pour une proposition ? À peu près par tout. La preuve.
L’aspect comédie musicale est foncièrement anecdotique, jamais désagréable, mais jamais transcendant, ne venant nous embarquer à aucun moment. Si les images sont très bien construites et colorées pendant les séquences musicales, fonctionnant donc au moins esthétiquement, elles n’apportent rien à l’intrigue, se déroulant exclusivement dans la tête du Joker. Ainsi, qu’elles adviennent ou non, elles ne serviront guère plus qu’à être des transitions attendues entre une séquence dans l’asile et une séquence au tribunal. Reste le petit plaisir de déceler les références à d’autres films du genre, “Les Parapluies de Cherbourg” et “La La Land” étant sûrement les plus évidentes.
Le rythme du film, s’il n’est pas le plus indigent, est loin d’être mené tambour battant comme le premier. Le scénario est terriblement programmatique, suivant un même et unique schéma durant l’intégralité de sa durée : prison, tribunal, chanson, prison, tribunal, chanson... et ce ad nauseam. Ajouté à cela ce qui a déjà été mentionné, à savoir le manque d’enjeux et d’intérêts du film, et l’ennui ne tarde pas à pointer le bout de son nez. Zut, ça dure 2h20.
Les deux comédiens principaux, s’ils ne sont définitivement pas mauvais, se contentent du minimum syndical : Lady Gaga, qui n’a pourtant plus à faire ses preuves en tant qu’actrice, n’a rien à défendre dans un rôle malheureusement sous-écrit et sous-exploité, se forçant en plus à chanter moins bien qu’elle ne sait le faire pour coller à son personnage. Joaquin Phoenix, fort de son Oscar mérité du meilleur acteur en 2020 pour ce même rôle, reprend les mêmes mimiques sans jamais les incarner comme il le faisait avant, et l’on a vite l’impression de ne pas voir le Joker, mais de voir son acteur qui tente d’imiter sa propre interprétation du personnage.
Vous l’aurez compris, l’énorme défaut de ce “Joker 2” n’est pas tant d’être un mauvais film, mais d’être un projet réalisé son âme, sans envie, et donc finit par n’être qu’une pellicule sans aucune vie. Jamais honteux, le film est insipide, et cela serait presque pire. Dénué de tout enjeu, l’inintérêt est total au visionnage de cette suite qui n’aurait pas dû être.
Cependant, il faut revenir sur le pied de nez que fait Todd Phillips à la mythologie Batman avec ce film, erreur fondamentale et inexcusable. Si déjà en 2019 il prenait des distances par rapport aux comics (ce qui est normal, sachant qu’adapter une œuvre c’est aussi la trahir), il prend ici deux libertés qui vont à l’encontre des personnages tels qu’imaginés par leurs créateurs.
Déjà, le personnage d’Harley Quinn, qui au lieu d’être une aide-soignante tombant sous le joug de l’emprise du Joker et sombrant dans une folie à deux avec lui, c’est ici elle qui va pervertir ce pauvre Arthur Fleck qui ne demande qu’à s’en sortir.
Mais pire que tout, le film nous montre un Joker comme étant une personne malade, dont l’ingestion de quelques cachets permet de redevenir normal. En sachant que la figure du Joker représente, à l’instar de tous les adversaires de Batman, une allégorie, une névrose, notamment celle du chaos, il est étrange voire contradictoire de le réduire à une maladie curable.
Outre ces deux points, et malgré l’ennui poli ressenti lors du visionnage, “Joker : Folie à Deux” n’est pas une horrible expérience de cinéma ; il n’en est pas moins une suite inutile, oubliable et tout à fait superficielle, trahissant les velléités purement mercantiles d’un studio qui n’a même pas cherché à les cacher.