A mes yeux, le premier film n’était qu’un mauvais mélange entre Taxi Driver et La Valse Pantins, avec un propos suffisamment creux et populiste pour que n’importe quel couillon puisse se l’approprier, y compris tous ces incels trmpistes d’extrême-droite, ayant immédiatement érigé le personnage titre comme porte étendard de leur haine à l’égard des élites et d’une certaine déliquescence de la société contemporaine, responsables de tous leurs maux. J’ai donc été agréablement surpris de voir ce second volet remettre en cause la figure même de cet anti-héros, ainsi que son iconisation par une partie non négligeable du public.
Le procès d’Arthur Fleck met en opposition 3 lectures différentes du personnage. Celle du malade mental victime de la société, défendue par l’avocate de Fleck et qui semble également être la vision personnelle du réalisateur Todd Philips. Celle du révolutionnaire encourageant tous ceux qui se reconnaîtrait en lui à prendre les armes pour mettre le monde à feu et à sang. Puis celle d’Arthur lui-même, un paumé en mal d’amour, jouant simplement le rôle qu’on attend de lui pour amuser la galerie.
Cette sensation de devenir un symbole malgré soit, d’être enfermé dans un rôle qu’on a pas désiré ; cette capacité qu’ont les gens à projeter sur n’importe quel ramdom ce qu’ils ont envie d’y voir et qui peut en conduire certains à la déification ou au fanatisme le plus total… Tant de passionnantes thématiques en lien avec le sujet de cette Folie à Deux, mais qui ne prendront jamais véritablement corps à l’écran.
Si dans un premier temps, Fleck joue sagement le rôle que son avocate a imaginé pour lui, en prenant bien ses médicaments et en montrant patte blanche à ses gardiens de cellule; il changera rapidement d’état d’esprit après sa rencontre avec Lee Quinzel, une fanatique de Joker qui s’est internée volontairement à Arkam dans le but de rencontrer son idole. Remotivé par cet amour inespéré qu’on lui porte enfin, Arthur finira par endosser à nouveau le costume du clown anar ; transformant par la même son procès en véritable one man show morbide, comme il avait pu le faire lors de son célèbre passage dans l’émission de Murray Franklin. Sauf que le maquillage du bouffon finira littéralement par s'estomper, laissant entrevoir le vrai visage d’Arthur Fleck, au grand dam de ses fans qui ne l’accepteront jamais pour ce qu’il est réellement. Un état de fait qui sera d'ailleurs symbolisé par cette course-poursuite finale, faisant malicieusement écho à celle du premier opus.
Et malheureusement, on en restera là. Le film étant à nouveau trop focalisé sur son anti-héros, la question du rapport au public ne sera donc limitée qu'à son propre regard. On ne saura finalement rien de ces milliers de fans et de la relation qu’ils entretenaient avec leur mythe vivant. Ils resteront à jamais une masse informe et sans voix.
Lee Quinzel aurait pourtant pu incarner cette figure de fanatique obsessionnelle, mais en définitif, le personnage est aussi peu développé que tous les autres fans sans visages. Aucune personnalité bien définie, pas de passé, des motivations floues… Elle n’existe qu’en tant que faire-valoir du Joker alors que, factuellement, c’est elle la personnage centrale de cette histoire. Le Joker ne peut exister sans ses admirateurs, or, en se désintéressant de ces derniers, le film s’empêche de traiter toute une partie pourtant indispensable de son sujet.
Comme pour le précédent Joker, il y a de bonnes idées et Joaquim Phoenix est toujours là pour sauver les meubles, mais le tout manque de profondeur et traite trop superficiellement ses thématiques pour être réellement pertinent ou émouvant. L’évolution d’Arthur est laborieuse, il manque des liants entre les différents stades de son état mental. Des liants que tenteront maladroitement de combler les nombreuses séquences musicales.
Concernant l'incursion de ce genre, en soit, il ne me dérange pas puisqu’il est utilisé dans une démarche proche de La La Land, comme allégorie d’une rêverie naïve en réponse à la dure réalité dans laquelle baignent nos protagonistes. Cela se justifie, mais dans les faits, son utilisation reste finalement très anodine. Pas de chansons originales, rien que des reprises peu mémorables à la mise en scène plate, le plus souvent sans utilité narrative et servant surtout de bouche trou entre deux scènes vraiment importantes. On se demande bien ce qui a pu motivé Philips et Phoenix à s’aventurer sur ce terrain-là si c’est pour aboutir à un résultat aussi insignifiant.
Quant au reste de la mise en scène, elle est dans la droite lignée du premier film. Les fans ne risquent pas d’être dépaysés, c’est exactement la même réalisation outrancière que je vomissais déjà 5 ans auparavant, avec la même photo générique de blockbuster hollywoodien, et le même recourt excessif à des gros plans sur la gueule du Joker, accompagnés d’une musique stridente aux violons grinçants.
Alors oui, on peut saluer la prise de risque et les quelques bonnes idées de cette suite, mais comme pour l’original, c’est surtout l’exécution qui pêche sérieusement.
A l’instar du personnage titre, le succès de Joker était purement conjoncturel. A l’apogée du modèle Marvel, après des années de perdition super-héroiques chez Warner et en plein contexte insurrectionnel en France et aux USA, c’était le film qui sortait au bon moment et que tout le monde avait envie d’aimer pour ce qu’il semblait être. Or, il est amusant de constater à quel point cette Folie à Deux, qui contient pourtant les mêmes défauts et les mêmes qualités que son aîné, ne bénéficie plus aujourd’hui du même traitement de faveur.