Joker, folie à deux : séquelle ou réquelle de Joker ?

Attention, ce qui suit contient des éléments divulgâchants.


À lire les avis portant sur le film, les spectateurs de Joker, folie à deux auront trouvé sa fin aussi inattendue que frustrante : face au tribunal et contre son avocat qui soutient qu'il souffre d'un trouble dissociatif de personnalité, Arthur Fleck plaide coupable de ses crimes en son propre nom : « There is no Joker ». Fleck y perd ses partisans, qui ne lui pardonnent pas ce désaveu. Sans doute est-ce aussi le ressenti du spectateur navré d'assister à cette fin pathétique du clown de Gotham. L'abnégation de Fleck doit-elle se lire comme le regret du réalisateur d’avoir donné l’impression, dans son premier opus, de légitimer le soulèvement social ? Todd Phillips aurait-il été par trop préoccupé de remettre son personnage sur le droit chemin des normes sociales bourgeoises ? La scène d’ « arroseur arrosé » où Fleck est assassiné par l’un des admirateurs du Joker n’est d'ailleurs pas sans rappeler la dernière partie d’Orange Mécanique. S’agit-il d’un désamorçage de bombe, d'une réquelle plutôt que d'une séquelle du premier épisode, comme l’ont d’ailleurs remarqué un certain nombre de critiques (ici même, voir la critique de L’Homme-Grenouille) ? Doit-on y lire un sérieux rétropédalage ? Il est sans doute tentant de le croire. 


Quoi qu’il en soit, je m’intéresserai ici à une autre question : quelle est la réalité du Joker dans le film de Phillips lorsqu’on se confronte à ce que l’on sait de la saga Batman ? À première approximation, on peut poser les trois hypothèses suivantes : 

  • Le Joker existe, c’est Arthur Fleck  ;
  • Le Joker existe mais ce n’est pas Arthur Fleck ;
  • Le Joker n’existe pas (« There is no Jocker »).

Passons en revue les trois hypothèses précédentes. La première implique une contradiction évidente avec la saga, puisque Joker décède avant que Wayne ne puisse y être confronté. La troisième hypothèse, portée par l’aveu de Fleck, est également d’emblée contradictoire avec la saga qui atteste bien l’existence du Joker. On pourrait toutefois l'admettre en supposant que le contenu du film de Philips ne fait pas partie du monde fictionnel de la saga. Joker ne serait qu’un fantasme d’Arthur Fleck, qui aurait par exemple abusé de comics comme Don Quichotte abusait des romans de chevalerie. Or c’est également contradictoire, en raison cette fois de la présence de la famille Wayne dans le monde fictionnel de Fleck, famille qu'il rencontre dans le premier opus. Finalement, seule la seconde hypothèse pourrait être compatible avec ce que l’on sait de la saga Batman. Dans ce cas, le Joker ne serait pas Fleck, mais par exemple l’un de ses avatars, comme celui qui tente de le faire évader du tribunal. 


Poser la question de l’existence du Joker, c’est se demander combien de personnage il y a au juste. Un seul (Fleck alias Joker), ou deux (Fleck et le Joker) ? De fait, Joker, folie à deux est avant tout un film sur le double, comme le souligne d’ailleurs son titre, et comme le montre aussi l’animation qui démarre le film, où l’ombre du Joker se détache de lui, à la manière du conte d’Andersen et du roman de Chamisso. Mais c’est surtout un film sur le double en raison d’une sorte d’impossibilité de trancher nos décomptes, parce qu’on aurait autant de motifs de croire à l’identité entre Fleck et Joker qu’à la rejeter.  Le film trouve son intérêt dans les questions inter-fictionnelles qu'il suscite, dans son rapport de compatibilité aux autres éléments de la série, par la tension conflictuelle qu'il entretient avec eux, et par les hypothèses métaleptiques auxquelles le spectateur est confronté.

Niko-Kino
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