Joker 2 est l’image parfaite de son public - un public gavé qui déteste l’image que leur miroir leur montre.
Au contraire d’un film de confort anticipé par le plouc moyen s’imaginant chausser la pointure du clown du crime, Todd Phillips livre un film sur la faiblesse et l’abus à travers plusieurs standards américains, entre autres Burt Bacharach.
Arthur a maintenant une partenaire dans le crime, Harleen Quinzel (Lady Gaga), une riche gâtée ambulatoire à l’asile d'Arkham pour les aliénés criminels, qui entre dans ses fantasmes comme échappatoire, une fantaisie collective fragile qui peu à peu se dénoue à la confrontation qu’Arthur a avec son ombre jungienne, au cours d’un procédé d’intériorisation intéressant qui penche du malaise à la tension durant son procès, un peu fébrilement à mon goût. La véritable romance dans Folie à Deux se situe entre Arthur et la musique pop – la culture de l'expression populaire qui relie l'individu aux masses ; cela nous fait nous sentir unis, moins seuls, libérés de l’anxiété et heureux, ce sur quoi le film s’appuie pour présenter l’aliénation progressive d’Arthur, contrairement à l’image du militant “Mangeons les riches” que s’est fait le spectateur au sourcil moyen, comme les apôtres d’Arthur. Il leur montre toute leur médiocrité, leurs rébellions bidon.
Arthur ne peut pas devenir le Joker, assumer le rôle, c’est un personnage médiocre, faible, rongé par l’anxiété, un doux rêveur au mental fragile, il le RÉALISE une fois confronté à la réalité. Le Joker de Batman est une figure forte littéraire du 20ᵉ siècle, élusive, ambiguë, chaotique, un génie du crime accompli (et riche, vu le nombre qu’il embauche pour être ses petites mains) avec des compétences doctorales en chimie-physique (il a donné son nom à son propre composé chimique), alors qu’Arthur est la figure même du recroquevillé schizophrène, du défait de la vie sans grand talent ou connaissances. Initialement, Joker est un trickster qui élabore copieusement des crimes thématiques; cartes à jouer, jeux piégés, vols avec indices laissés derrière. Il est aussi un assassin d'entrée de jeu. Dès sa première apparition (Batman #1-1940), il laisse derrière lui 3 victimes au visage couvert d'un rictus, courtoisie d'un poison de sa confection, son venin. Il fait par ailleurs l'annonce de ces meurtres à la police avant même de les commettre, voilà le paradoxe avec Arthur.
Phoenix apparaît pour la première fois avec ses os de l'épaule contorsionnés, émaciés et disloqués, tirant sa langue rouge et nerveuse pour des médicaments comme l'un des patients de Vol au-dessus d'un nid de coucou. Alors qu’il chante « For Once in My Life » dans la salle de télévision de la prison, le pathos solennel et grotesque de Phoenix est vraiment émouvant avec sa voix faible, un miroir qui reflète ce que serait un “vrai” Joker. Il y a un moment poignant où Arthur se demande même si le personnage du Joker était réel, exprimant le désir de se défaire de cet ombrage. La cour débat de sa faculté inepte à son propre procès (Biden ou Jean-Marie Le Pen pourraient-ils l’égaler?) Il n’y a pas de rédemption dans le film, comme au tribunal, que du spectacle.
Le monde soliloque de la musical comedy trahit Arthur comme le public. Comme film, Joker 2 laisse sur sa faim ; comme suite, il livre aux cinéphillages le film qu’ils méritent en livrant un pied de nez à DC et Hollywood que je ne peux qu’apprécier.