Ce qu’il faut retenir de Josep réalisé par Aurel, c’est principalement sa résonance avec ce que nous vivons aujourd’hui. Il réalise l’exploit d’allier une certaine délicatesse visuelle et sonore à la dureté de ce qu’il raconte (l’oppression xénophobe, la déportation nazie, …). Il laisse surtout son spectateur avec un sentiment de révolte, de désolation, de honte. Il l’amène à faire résonner ce qu’il voit à l’écran avec les oppressions contemporaines avec lesquelles il coexiste et le laisse avec une prise de conscience marquante par son fatalisme : l’humain n’apprend-il donc pas de ses erreurs ?
Josep c’est avant tout une forme. C’est un film d’animation qui s’affranchit du style hyper-réaliste pictural encré dans le cinéma des grands studios hollywoodien. Il assume son aquarelle, son fusain, son esquisse, son animation à la main. Il va même au-delà en alternant l’utilisation classique d’une animation en 24 images/seconde (pour les scènes du présent) et une animation bien plus lente pour tout ce qui se passe dans les camps et pendant la guerre. Cette narration en deux temps convoque le conte familial, une idée douce de succession, de transmission d’un vieil homme qui s’oublie peu à peu et qui veut tant qu’il est encore temps léguer ce qu’il lui reste de souvenirs à son petit-fils. Enfin, l’élément majeur de Josep c’est son rythme, et avec des images quasi fixes, on doit ce rythme très juste à des bruitages brillamment réalisés, indispensable à la narration, qui captivent et laissent admiratifs.
Josep c’est bien sûr un personnage. Josep Bartoli, artiste et résistant républicain sous Franco, réfugié de la Retirada en France, rescapé de la Gestapo, expatrié au Mexique, amant de Frida Khalo. Le personnage tel qu’il nous l’est présenté, aussi conforme à la figure culturelle qu’il soit, est un homme pour qui l’art et la politique ne sont pas des choses que l’on sépare. On nous présente ainsi l’art dans un contexte d’oppression, une idée de résilience quotidienne pour éviter une oppression encore plus violente mais une résistance à travers l’art, pour survire. C’est notamment, accepter que les gendarmes vous urinent dessus et c’est les dessiner en porcs juste après. C’est être un être qui se tait mais un artiste qui hurle.
Josep c’est aussi l’aveu d’une nation dans sa culpabilité vis-à-vis de l’oppression d’une population, de sa xénophobie revendiquée.
Josep frappe encore davantage, quelques années seulement après une énième répétition de l’histoire : la mise en camps de familles séparées mexicaines aux frontières américaines.
Enfin, Josep c’est aussi Serge. Un personnage complexe, avec un véritable arc narratif. Souvent montré dans une lumière directive au milieu du terne des camps comme pour montrer le seul et unique soldat doté d’une conscience, dont on ne se moque pas a contrario de ses collègues. On le distingue de ses autres « porcs » de compagnons de camaraderie par sa lucidité sur ses actions. Le vieux Serge qui refuse le titre de héros sait ce qu’il a fait, il sait qu’il n’aurait pas dû, mais qu’il l’a fait quand même. Il pose là encore une question qui résonne au lendemain des revendications contre les répressions policières : « Jusqu’à quel point doit-on obéir à un ordre ? ». Il critique ainsi ce qui était la marée chaussée, ce qui a évolué en la police nationale de Vichy pour rester la même institution que nous connaissons aujourd’hui. C’est un personnage qui touche par son repenti, qui s’est interrogé sur son rôle d’oppression et a usé de son pouvoir pour servir les opprimés. A la phrase « Etre neutre dans une situation d’injustice c’est choisir le côté de l’oppresseur », il a répondu ça suffit, plus pour moi.