Deux fils dont un facho
Que dire de neuf à propos de Vincent Lindon, pour sa prestation dans Jouer avec le feu où son rôle de père cheminot, élevant seul ses deux fils, semble taillé à sa gigantesque mesure. Mais ne...
le 14 nov. 2024
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Avoir Vincent Lindon au casting est autant un gage de sérieux et de qualité que la promesse d'un certain type de cinéma dramatique et social français. Jouer avec le feu répond dans nos attentes en racontant l’histoire d’un père qui a élevé seul ses deux fils et se retrouve dépassé face à l’aîné, Fus, qui glisse peu à peu vers l’extrémisme.
Mais étrangement, ce n’est pas tant ce conflit père-fils qui m’a marquée, mais plutôt la relation entre les deux frères. Il y a une vraie justesse dans la manière dont le film capte ce sentiment de déclassement, non seulement entre eux, mais aussi face à une société qui impose un modèle de réussite implacable. Fus, diplômé en métallurgie mais sans emploi, vit de plus en plus mal la situation, surtout en voyant son jeune frère partir à Paris pour étudier à la Sorbonne. Un double déclassement : géographique et académique. Il y a ceux qui réussissent et ceux qui restent sur place, ceux qui montent et ceux qui stagnent. Et dans une société qui valorise tant la méritocratie, c’est forcément perçu comme un échec.
Ce qui fonctionne ici, c’est avant tout l’alchimie entre Benjamin Voisin et Stéphane Crépon. Il y a dans leurs regards, dans leurs postures, une tension latente qui rend cette relation profondément crédible. Fus oscille entre jalousie et amertume, tandis que Louis porte, presque malgré lui, le poids du succès. On voit lentement l'incommunication grandir entre eux, autant voulue (par le rejet des valeurs) que subie. Leur rapport, entre fraternité et incompréhension, est ce qui donne au film toute sa force.
Vincent Lindon, évidemment, est excellent. Il incarne avec une sincérité brute ce père ouvrier, croyant aux valeurs du travail et de la justice sociale, conscient que la réalité est plus dure. Pourtant, son arc narratif reste assez convenu. Le père dépassé par la dérive de son fils, le combat des valeurs, le mur de l’incompréhension… C’est bien fait, mais pas surprenant. Et puis, bien sûr, il y a son monologue en fin de film, là aussi un peu un attendu pour l'acteur charismatique. Pas d’envolée lyrique, juste un constat, une mise en mots de ce que le film a tenté de raconter jusque-là. C’est sobre, efficace.
Là où le film se distingue un peu plus, c’est dans son approche visuelle. On a trop souvent l’habitude, en France, d’associer drame social et mise en scène brute, presque austère. Ici, les réalisatrices prennent le temps de composer des plans plus travaillés, sans pour autant tomber dans l’esthétisation creuse. Certaines images marquent, comme ce plan de Lindon, seul dans la nuit, une torche rouge à la main. Une scène réitérée à plusieurs reprises et qui porte selon moi un double symbole fort : l'image oscille entre la figure du guide, celui qui "a la lumière" que voudrait être cet homme, et celle de l’homme perdu dans l’obscurité qui avance seul. Le choix de la maison familiale n’est pas anodin non plus : elle fait authentique, mais possède aussi un côté théâtral, avec une vraie réflexion sur la manière dont l’espace enferme ou sépare les personnages.
Le film ne révolutionne rien, et ce n’est pas son ambition. Mais il évite le piège du film à message trop appuyé. Contrairement à un Chez nous, il ne cherche pas à démontrer, mais à observer. Pas de figures politiques marquées, pas de grands discours militants, juste une famille qui se délite, et un garçon qui se raccroche à ce qui lui semble donner du sens.
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