Journey To The West 2: The Demons Strike Back constitue le premier projet sur lequel deux figures emblématiques du cinéma hongkongais collaborent réellement pour la première fois : Stephen Chow, superstar devant et derrière la caméra, surtout connu pour ses nombreuses comédies ayant fleuri dans les années 1990, et réalisateur du premier volet ; et Tsui Hark, incontournable cinéaste ayant influencé l’industrie locale et internationale pendant des décennies. L’alliance de ces deux forces créatrices impétueuses avait de quoi susciter l’intérêt, voire même exciter déraisonnablement les amateurs de leurs œuvres respectives. Sans grande surprise, ce Journey 2, écrit par Chow et réalisé par Tsui (qui a certainement participé à l’écriture lui aussi), a battu tous les records d’ouverture du box-office chinois en dépassant de très loin The Mermaid sur son premier jour, précédent succès de Stephen Chow.
Le Nouvel An chinois est l’une des périodes les plus cruciales pour le cinéma sinophone, puisqu’il est de coutume d’y sortir les grandes productions locales. Et si Chow et Tsui devaient un jour collaborer, il ne faisait nul doute qu’il s’agirait d’une superproduction. Quelle meilleure source littéraire, dans ce cas, que la célèbre Pérégrination Vers l’Ouest, texte fondateur de la littérature chinoise et de la doctrine mythologique bouddhiste. Lorsque Stephen Chow sort le premier volet intitulé Journey To The West: Conquering the Demons en 2013, une question évidente se pose déjà : pourquoi revenir une énième fois sur un texte ayant bénéficié d’un nombre faramineux d’adaptations télévisuelles et cinématographiques ? L’interrogation s’imposait d’autant plus que Chow lui-même avait fortement contribué à la postérité de la légende à travers son rôle iconique du Roi-Singe (ou Sun Wukong) dans le diptyque A Chinese Odyssey, réalisé en 1994 par Jeffrey Lau. Le film s’inspirait librement du texte source pour réorganiser ses péripéties tout en conservant son noyau substantiel, à savoir le chemin spirituel menant les personnages (et particulièrement Sun Wukong) à la compréhension et à l’adoption inconditionnelle du bouddhisme.
On constate donc sans étonnement que les deux volets de cette nouvelle mouture de Journey To The West empruntent une approche similaire. Les personnages, qui restent tout à fait reconnaissables, arpentent les paysages de la Chine ancienne à la recherche des sutras fondateurs du bouddhisme. Au début de cette suite, Tang Sanzang, l’attachant moine maladroit du premier film, mène donc ici ses trois compagnons démoniaques (le Roi-Singe, le démon porcin et le démon ichtyen) vers l’Inde, où se trouverait l’objet de leur quête. Les connaisseurs du texte ou amateurs des anciennes adaptations auront donc vite faite de reconnaître les figures récurrentes de l’aventure, des protagonistes aux femmes arachnéennes géantes, en passant par le démon antagoniste final.
Toute aussi familière, la structure narrative réitère le schéma itinérant limité du premier film en divisant son récit en quatre temps, séparés par de courts interludes transitoires. Si Conquering The Demons se déroulait dans un village, un restaurant, une forêt, puis une montagne, The Demons Strike Back opte pour un cirque, la demeure des araignées, le royaume indien de Biqiu, puis le village isolé. En termes d’écriture, cette suite ne prend donc pas beaucoup de risques, et cela s’observe également dans sa dichotomie tonale déséquilibrée.
L’humour à la Stephen Chow auquel le public s’attend est bel et bien présent (les scènes de dialogues entre le roi de Biqiu et sa ministre représentent à ce titre un bel exemple de mo lei tau), et s’accompagne même de quelques blagues visuelles aussi universelles qu’efficaces. Cependant, ces passages semblent compressés, limités à leur expression la plus concise possible, comme si Tsui Hark, désormais derrière la caméra, respectait leur importance mais souhaitait passer hâtivement à la suite, et surtout à l’action. On pourrait être tentés par une réduction assez simpliste : le film semble commencer comme un Stephen Chow (comédie naissant des interactions entre personnages) et se terminer comme un Tsui Hark (débauche d’effets visuels grandiloquents au service de scènes d’action époustouflantes).
Ce serait tout de même oublier que Chow a lui aussi un goût pour le spectaculaire débridé, comme en atteste par exemple Kung Fu Hustle, et que Tsui a su faire preuve, par le passé, d’une sensibilité comique dévastatrice (voir All the Wrong Clues… For The Right Solution, dont la bagarre dans le restaurant atteint des niveaux d’absurde stratosphériques, Aces Go Places 3, composé presque exclusivement de blagues parodiques sur le genre de l’espionnage, ainsi qu’un passage de Shanghai Blues jouant habilement sur les possibilités du décor). Certes, ses derniers films sont pour ainsi dire moins portés sur l’humour, mais le cinéaste n’a plus rien à prouver en termes de souplesse créative. Le mélange aurait donc dû fonctionner plutôt bien, mais il est fort possible que la fusion de deux forces si puissantes les ait empêché d’atteindre leur plein potentiel : l’humour et les relations propres à Chow ont moins d’impact, tandis que le style narratif exigeant de Tsui a été simplifié et aplani pour former un récit d’une linéarité assez paresseuse.
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