Hommage touchant, forme déroutante...
Judex est un remake d'un film de Feuillade. Tout commence à la Belle Epoque, dans le bureau de la villa d'un richissime banquier, Favraux, Il vient de recevoir une lettre anonyme lui annonçant qu'il va payer ses crimes, signée Judex, alors qu'il compte marier sa fille à un noble désargenté. Pendant le bal, Favraux tombe comme mort, mais Judex enlève son pseudo-cadavre. Touché par la fille de Favraux, Jacqueline, il décide d'épargner Favraux. Mais entre en jeu l'ancienne préceptrice de la petite-fille, Diana Monti, redoutable et séductrice.
Je ne résume ici que la première partie du film, qui est organisée comme un roman de Gaston Leroux. La suite est beaucoup plus hachée et rocambolesque, avec une succession de poursuites, de rebondissements, en partie occassionés, de manière bien involontaire, par le détective Cocantin, sorte d'inspecteur Clouzaux désopilant, avec son élocution trainante de feignasse. Beaucoup de personnages apparaissent et disparaissent, du gamin un peu horripilant à la jeune acrobate qui débarque par miracle en roulotte. Il y a de belles scènes qui valent plus par leur valeur plastique que par leur intérêt narratif, comme celle où les trois acolytes de Judex, sorte de formes noires, escaladent un immeuble de banlieue par le côté. Cette deuxième partie est bien plus déroutante, et fait presque film amateur par moment. La fin est très convenue, avec ce plan sur les plages du pays de Caux...
Pas au niveau des cadrages ou de l'image, bien sûr. "Judex" comporte de très nombreux mouvements d'appareil dignes des écoles de cinéma, avec notamment ces plans pivotant qui semblent traverser le verre d'une fenêtre, que ce soit en avant ou en arrière. Et bien sûr la scène du bal, avec tous ces costumes à tête d'oiseaux, qui rappellent Jérôme Bosch. Car tout le film repose sur le jeu des masques, les costumes, les passages secrets, les chausse-trappe : outre le masque et le grand manteau de Judex, on pense inévitablement au costume pré-Catwoman porté par Francine Bergé (Ah, quelle sensualité dans ce plan en contre-plongée où elle se prépare à sauter par une trappe dans de l'eau). Ou au drap-cagoule passé sur Judex ligoté, qui va pousser Diana Monti à tuer sans le vouloir son acolyte et amant. Les personnages sont des archétypes, le costume définit leur identité, à l'image de cette casquette de Sherlock Holmes que Cocantin choisit de chausser en cours de route, ou des nombreux déguisements de Diana Monti (bonne-soeur, cambrioleuse...).
Il y a des intertitres délibérément désuets, de vieilles voitures, un ton fort littéraire, un plan où un roman de Fantomas est explicitement montré, une pendule inquiétante, un téléviseur-miroir étonnant... Et surtout, il y a quelques ellipses déroutante au niveau de la narration. En gros, comme un feuilleton dont on attend la suite, Franju passe sans transition d'un personnage à un autre, d'une action à une autre, et choque parfois les règles de la vraisemblance du spectateur : tiens, elle vient de se faire enlever, pourquoi retrouve-t-on son corps inanimé dans l'eau ? Je me suis demandé une ou deux fois si je n'avais pas une version incomplète du film sous les yeux.
Mais l'explication semble être que lutôt que de faire un film formellement parfait, Franju a voulu rendre un hommage vibrant et sans concession au cinéma de Feuillade. Mission réussie : je ne connais pas Feuillade, mais ce film m'a donné envie d'en voir.