Quatre à la suite ! Dans la série “Les réalisateurs de films festivaliers font tous le même film”. Ruben Ostlund avait ouvert le bal avec The Square, puis Thomas Vinterberg avec Drunk, Léos Carax avec AnnetteJoachim Trier a toujours été une éponge. Après un hommage appuyé à la nouvelle vague dans Nouvelle Donne, Oslo 31 aout était son chef d'œuvre. La magie opérait. Certes, c’était un remake du Feu follet de Louis Malle, lui-même une adaptation de Drieu la Rochelle. Les effets visuels étaient déjà très publicitaires et arty, mais quelque chose se passait. Ces extincteurs actionnés à vélo resteront dans ma mémoire.
Par rapport à ses comparses Ostlund, Vinterberg et Carax - et des tas d’autres - Trier fait un pas de plus dans la dégueulasserie : il repeint son film aux couleurs du féminisme et de la jeunesse alors que son film transpire la misogynie et la réaction. Une forme de purplewashing !
C’est donc l’histoire de Julie (Renate Reinsve, prix d’interprétation féminine à Cannes), à son entrée dans l’âge adulte, en 12 chapitres, un prologue et un épilogue. Le découpage n’a aucun sens, n’apporte rien, à part un lourd clin d'œil godardien, comme la voix off, qui reprend mot pour mot en les devançant ou avec un léger retard les dialogues… Le chapitrage est surtout un cache misère, pour jouer avec la chronologie et les genres parce que le film comme Julie ne gagnera jamais en profondeur.
Donc, Julie hésite sur ses études, son métier, ses amours, la fidélité, la maternité, etc. Pourquoi pas. Un film sur une femme, sur la jeunesse, sur le papier, on y croit.
Julie tombe amoureuse d’Aksel (Anders Danielsen Lie, Antoine Doinel de Trier), et c’est le premier tour de passe-passe du film. Il sera presque plus à l’écran qu’elle. Aucun cliché sur les tourments de l’artiste mâle torturé et vieillissant ne nous sera épargné. Confronté au refus de maternité d’une femme bien plus jeune que lui, aux cycles de l’inspiration, à la séparation amoureuse, à la déconstruction de ses œuvres, toute l’empathie de Trier est portée sur l’agonie de son double de fiction. Il faut juste qu’on comprenne que Julie n’aurait jamais du quitter Aksel, qu’elle sera punie pour cela - punie par là où elle a péché d’ailleurs.
Le deuxième tour de passe-passe, est la grande misogynie du film derrière un écran de fumée féministe. Il y a bien sur quelques dialogues féministes par ci par là, mais le regard sur les femmes qui ne sont pas la jeune, mince et jolie Julie est insupportable.
Les amies d’Aksel, lors d’un week-end champêtre sont des vieilles peaux incapables de s’amuser trop occupées qu’elles sont à gronder leur progéniture. Même lorsqu’elles se lâchent et se mettent à danser, le bonheur leur est interdit, elles se cognent la tête contre la lumière tel Icare, gâchent la fête et castrent leurs maris.
Le portrait de l’ex d’Eivind (Herbert Nordrum, Adam Driver norvégien, ce qui est arrivé de mieux au film), le nouvel amoureux de Julie est sacrément chargé également. On la voit d’abord déambuler dans une librairie avec son look de folle et ses poches sous les yeux à la recherche d’un livre (Green Yoga, ahah). Mais surtout, tout un chapitre est consacré à décrire la perte de l’amour d’Eivind car sa femme a pris conscience des dangers du réchauffement climatique. La conscience écologique est un tue l’amour. Il faut profiter de sa vie, on n’en a qu’une, nous dit Trier. A la limite, il faut être conscient qu’acheter un avocat est nocif, mais l’acheter quand même. Cet assassinat d’un personnage était pourtant incomplet. Il fallait en plus scroller son compte Instagram pour découvrir qu’elle est suivie par 10 000 personnes non pas pour ses cours de yoga, mais parce qu’elle montre son cul à ses abonnés. D’une pierre deux coups, le mélange de Greta Thunberg et Enjoy Phoenix est né : Enjoy Thunberg.
Le tableau de la bêtise de ce nouveau monde féminin ne serait pas complet sans une représentante de la cancel culture. Une jeune intellectuelle, qui propose une relecture féministe du Lynx, la bande dessinée acclamée d’Aksel, lors d’un débat télévisuel. Elle le fait sortir de ses gonds jusqu’au dérapage. Bien sur, Aksel ne sort pas grandi de cette scène, mais finalement, il a été agressé par cette femme qui l’a ramené à son statut d’homme blanc dominant alors que lui c’est rien qu’un artiste et que les intellectuelles dans son genre elles peuvent vraiment rien y comprendre à l’art. Une nouvelle fois, Joachim Trier avait donné la version d’un féminisme soft au début du film : lorsque Julie rencontre Aksel, elle dit qu’elle n’a qu’un souvenir imprécis de la bande dessinée, qu’elle avait trouvé une planche “vaguement sexiste”. Comme pour l’avocat, il faut avoir conscience des enjeux in petto, mais prendre la parole et entrer dans le combat collectif, c’est déjà trop vulgaire.
Finalement, le titre du film en version originale donnait un peu plus le programme que la version française purplewashée : Verdens verste menneske, “Le pire être humain du monde” selon Google Traduction. De qui parle ce titre ?
Pour finir sur une touche positive, le chapitre 2, la rencontre érotico-chaste entre Julie et Eivind est un des beaux moments du film. Notamment parce que le personnage d’Eivind est un beau personnage, doux, attentionné, respectueux des autres et des femmes. Un des rares moments du film où Joachim Trier fait autre chose que du tir à la carabine sur les personnages de femmes qu’il a lui-même créé.