Une mère défunte, un père alcoolique et outrancièrement impérieux, un frère simple d'esprit et une sœur fragile faisant figure de mère de substitution ; c'est dans cette famille atypique d'une Amérique déshéritée aux portes du 21ème siècle que vit Julien, jeune adulte atteint de schizophrénie paranoïde.


Avec Julien Donkey-Boy, Harmony Korine signe son second long métrage, mais aussi le premier film Américain labellisé au manifeste du Dogme 95, mouvement danois lancé en 1995 par Lars Von Trier et Thomas Vinterberg en réponse à l'accroissement des superproductions anglo-saxonnes jugées trop impersonnelles et excessives. Korine n'hésite cependant pas à s'affranchir quelque peu de certaines règles du manifeste en proposant une mise en scène plus esthétisée et expérimentale, parfaitement justifiée car permettant un meilleur ressenti du profond mal-être de Julien.


Par une image grésillante et poussiéreuse, nous est retranscrite la vision troublée et confondue d'un jeune homme tentant de sourire à un monde qu'il ne comprend pas ; traquant sans cesse derrière un œil vitreux les vices d'un mal imperceptible. Œil torturé duquel s'échapperont malgré tout les lueurs d'une sensibilité peu à peu dévoilée, devenant finalement aveuglante, permettant ainsi l'attachement à un être pourtant complexe et difficilement identifiable. D'une ambiance initialement malsaine et brutale arrivera alors à s'extraire une beauté sensorielle étrange, mais fascinante.


Harmony Korine use avec brio d'une mise en scène bipolaire, parfois douce et apaisante, parfois saccadée et spasmodique, reflétant le comportement désorganisé, incertain et imprévisible de Julien. Favorisant la puissance de l'image face au superflu des mots, il nous présente un bout-à-bout des morceaux d'une vie irréversiblement fragmentée, envahie d'une inconsciente solitude et inspirée de celle de son propre oncle schizophrène, accentuant ainsi l'authenticité de traitement du personnage. Une justesse qui est par ailleurs amplifiée par la prestation hallucinée d' Ewen Bremner, parvenant malgré la complexité de son rôle à transmettre l'incommunicable, au même titre que Werner Herzog qui livre une interprétation indéniablement impliquée d'un père instable aggravant chaque jour un peu plus la folie de son fils.


Un film donc surprenant, prenant l'allure d'une intime libération pour son réalisateur. Un véritable exutoire dont l'ambition n'est pas de simplement montrer la dissolution lente d'un être pour lequel nous savons à l'avance que toute évolution positive est impossible, mais plutôt de changer le regard (souvent erroné) que porte le spectateur sur cette maladie abstruse qu'est la schizophrénie.

MrMojoRisin
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le 12 juin 2015

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