Après un passage plus contrasté avec Les Amants Passagers, Pedro Almodovar revient à ses premières amours : les drames colorés. Mais il offre un souffle nouveau à ce genre tant aimé de son cinéma, en donnant au récit de Julieta des airs de conte presque fantastique où les morts et disparus semblent sans cesse côtoyer les vivants. Le réalisateur espagnol, habitué aux excès dans ses films, est ici dans une forme de retenue de la mise en scène. Il porte presque un regard clinique sur ses personnages, au cœur d’une musique sombre et lancinante. Des personnages qui d’ailleurs ne se mettent plus vraiment en scène au sein même du film, à quelques variations près. Mais la chaleur qu’Almodovar met dans chaque plan, la profusion de détails en font un film chaleureux, rempli d’émotion, à l’image des scènes d’adieu du film.
« Tout commence par un gros plan sur un morceau de tissu rouge. Très vite, on découvre que, dessous, un cœur palpite, le cœur de Julieta », c’est en ces mots que Pedro Almodovar décrit les premières secondes de Julieta. Le spectateur est donc plongé au cœur du récit, un film de femmes, de famille aussi et de déménagements. En effet, nous rencontrons Julieta pour la première fois lorsqu’elle quitte son appartement. Elle tient délicatement dans ses mains un petit personnage d’argile qui représente comme une femme tenant un bébé dans ses bras. Ses doigts délicats et vernis de rouges (vous l’aurez compris, la couleur phare du réalisateur est encore une fois omniprésente) s’apprêtent à ranger toute une vie dans des cartons, son corps, à ne plus jamais revenir. Les talents de conteur d’Almodovar, ici librement inspirés par les nouvelles d’Alice Munro, le poussent à détruire cette situation initiale par une rencontre fortuite. Nous voilà désormais au cœur d’un drame, pas un mélodrame, car ici point de grandiloquence, l’art d’Almodovar navigue en eaux troubles.
Des mères et la(es) mer(s)
Quand elle donne un cours de littérature antique, Julieta parle de la mer et de ses différentes occurrences dans la langue grecque, mais aussi de la terrible séduction que cette eau pleine de vagues opère sur l’Ulysse d’Homère. Cette femme qui se sait bientôt mère rejoint son amant pêcheur dans une maison impressionnante où la mer semble entrer par la fenêtre. Le bleu fait alors contraste avec le rouge. Dès lors, Almodovar ne cessera de semer de petits détails comme autant de métaphores, telle cette statuette « L’homme assis » pétrie d’argile, la même matière usée par les dieux pour faire l’Homme nu et sans défense. Le récit d’Almodovar est aussi fait de répétitions, nombreuses, qui sont la force de son cinéma depuis Tout sur ma mère. Les personnages semblent comme revivre des séquences tortueuses, mais dans un sens inverse. Comme s’ils revivaient la première scène, mais en drame. Voilà pourquoi Almodovar raconte que tous ses films méritent d’être vus deux fois, allant jusqu’à proposer d’offrir la seconde place aux spectateurs ayant déjà vu Julieta. Dans ces répétitions faites de voyages, de bons en avant et de retour en arrière (au sens propre comme au figuré), la métaphore du train, déjà présente mais plus succinctement dans Tout sur ma mère, vient ici comme imprégner tout le film. Cette scène centrale où Julieta vit son premier adieu marque le lien vivace qu’Almodovar créer ici entre vie et mort. Elle rencontre l’amour, la mort et l’animalité dans un même temps, celui du voyage en train. C’est ainsi que le récit de Julieta est truffé de passages du temps qui ne sont pas clairement marqués artificiellement à l’écran, bien que la voix off (la lecture de sa lettre à Antia par Julieta) les fasse sentir. Si bien qu’on a l’impression que plusieurs Julieta se côtoient, qu’Antia est toujours là, qu’elle remplit l’appartement pourtant vidé d’elle par Julieta. Le récit puise sa force à mesure qu’il grandit, qu’il s’élance vers des adieux déchirants – les derniers du film, du moins sous leur forme dramatique – là où la culpabilité de Julieta est à son comble.
Étreinte brisée
Comme souvent avec Almodovar, le récit est sophistiqué, fin, rempli de chausses-trapes et de rebondissements. On s’y aime voracement, malgré les appels à la prudence de Rossy de Palma alias Marian. Mais Julieta est aussi un film étrange dans une filmographie grandiloquente, car il est surtout un film de silences, de retenue (pas de chants, pas de cris, pas de spectacle). Julieta est en fait un film de regards, de corps qui se cherchent. Le conte est celui d’une absence insondable, insupportable qui fait changer de ville sans en bouger cependant. C’est souvent très beau, à l’image de la dernière scène du film, axée sur la sinuosité du paysage, alors que l’on s’apprêtait à vivre une étreinte tant attendue.
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