Texte originellement publié sur Filmosphere le 19/05/2016.
http://www.filmosphere.com/movies/julieta-pedro-almodovar-2016


Lors de l’annonce des sélectionnés de la 69ème édition du Festival de Cannes, on s’est insurgé contre les “habitués”, ces auteurs que l’on retrouve souvent au sein de la compétition. Pedro Almodóvar – pour la sixième fois – en fait partie. Faudrait-il discriminer les metteurs en scène trop populaires ? Faudrait-il, alors, prendre le risque de se passer de Julieta, de perdre ce si joli sens du mélo, rare et précieux ? Certainement que non. Au contraire, même, célébrons la beauté de ce portrait de mélancolie, de regret et d’amour, ou l’art de la tristesse purificatrice et salvatrice.


Ne perdons pas de vue qu’après tout, Almodóvar est un grand formaliste. Il convient éventuellement de rappeler ce trait de cinéaste quand on a souvent tendance à l’effacer devant les auteurs réguliers du drame. L’espagnol est certainement à rapprocher de Douglas Sirk (et beaucoup l’ont sûrement fait), dans ses fondements de l’approche du genre. La douceur y côtoie le – néanmoins discret – sensationnel de ces couleurs et cadres, ceux-là même qui taillent l’état d’esprit des protagonistes. La dramaturgie depuis la gamme chromatique ((A ce propos, il est intéressant de jeter un oeil sur La Conscience de la couleur de Nathalie Kalmus, jadis color consultant pour Technicolor et auteur de cet essai sur l’emploi de la couleur selon l’émotion des séquences et personnages.)) n’est pas tant que cela un art perdu. En fin de compte Julieta est peut-être un de ses films les plus classiques, dans le sens noble de l’expression. La résistance contre l’absence emplit et vide le personnage incarné à tour de rôle par Emma Suárez et Adriana Urgate (toutes deux sublimes, méritantes d’un éventuel prix d’interprétation partagé) autant que cela s’exprime dans le cadre. Tout se complète, comme partie intégrante de la vie de Julieta, le bien comme le mal. Souvent de rouge, passionnelle, elle est en bleu lorsqu’elle rencontre Xoan. Lui, en rouge, vit un deuil partiel avec sa femme, depuis longtemps plongée dans le coma. L’alchimie est évidente, et pourtant le charme est inégalable. La beauté de Julieta en ressort encore davantage.


Comme intégrale tragédie, la mort plane au-dessus du métrage. Almodóvar y voit peut-être le destin, le lot mérité par chacun, comme le rappelle autant la fille disparue de Julieta que Marian (Rossy de Palma), dont les mises en garde renforcent encore ce trait inéluctable propre aux récits tragiques. Le mystérieux homme en noir du train, au destin funeste, peut presque avoir des airs de rencontre mythologique. Le bonheur de Julieta s’assimile même à un éphémère paradis irréel, comme un fantasme littéraire, cette maison colorée en bord de mer. Le film ne se détache pourtant jamais du vrai, de la beauté du réel, car c’est là où Almodóvar cultive toute l’émotion. Là où, parfois, il arrive à filmer l’invisible. C’est ici un vrai film sur l’amour, celui dans lequel on s’engloutit délibérément, à nos risques et périls. C’est autant celui qui lie Xoan à Julieta que cette dernière à sa fille manquante, elle-même victime de ce trop-plein sentimental, finalement (auto-)destructeur.


En dirigeant nos oreilles vers les notes d’Alberto Iglesias, fidèle collaborateur, on remarque comme celles-ci épouse les mélodies magnétiques mais parfois inquiétantes du film noir. C’est forcément une manière pour Almodóvar de renouer avec ledit classicisme qu’il affectionne tant, mais aussi encore un moyen formel de caractériser les relations de ses héros. Sa tragédie rejoint les principes du genre hollywoodien, ceux où l’on s’aime tant avant une issue rarement des plus heureuses. Le cinéaste n’est fort heureusement ni un sadique ni un pessimiste, ne faisant pas une finalité déprimante de la mort ou la disparition. Il ne commente pas le désespoir de Julieta mais convoite l’éventualité de son salut.


L’an dernier, toujours à Cannes, c’était un autre méditerranéen, Nanni Moretti, qui mettait en scène la perspective de la disparition d’un parent, la mère dans le bouleversant Mia Madre, toujours à travers le prisme d’une femme. Ici, c’est celle de l’enfant, encore plus terrifiante car pas dans l’ordre naturel des choses. “Il faut l’avoir vécu pour vraiment comprendre toute la douleur que cela cause” témoigne ultimement la fille à sa mère. Cette expérience de vécu est peut-être une étape nécessaire dans l’assimilation du deuil. L’occasion de comprendre comme la synthèse additive du rouge et du bleu donne parfois du noir, plus naturellement du vert, finalement. Un peu d’espoir. Encore faut-il l’admettre, ce qui n’est pas toujours évident, par douleur. Ou par pudeur.

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le 29 sept. 2016

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Lt Schaffer

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