Bon, si j'avais été complètement honnète avec moi-même, j'aurai dû mettre 10 à Juno.
Parce que j'adore ce film. J'adore Ellen Page. J'adore son personnage de nana un peu punk au fou rire communicatif, à l'adolescence triomphante, au verbe fleuri et à la réplique cinglante, qui téléphone avec un Burger Phone et vomit une boisson bleue industriel dans le vase moche de sa belle-mère un peu kitsch qui aime les chiens et les naperons de mauvais goût.
J'adore son amie Leah (Olivia Thirlby), dont l'insouciance et la joie de vivre permettent à Juno de dédramatiser et nous font pleurer de rire. J'adore l'histoire un peu romcom sauce indé de Juno avec Paulie Bleeker (Michael Cera), un type un peu paumé et un peu naze mais attachant qui joue de la guitare dans le groupe de Juno. J'adore Vanessa Loring (Jennyfer Garner) en desesperate housewive de banlieue chic.
J'adore d'ailleurs la façon dont Jason Reitman filme les banlieues américaines, populaires ou bourgeoises : peut-être parce que je ne suis pas américaine, le cliché ne me parait pas caricatural. Ce sont bien deux mondes différents, qui se touchent sans jamais se mélanger. Pourtant, Juno, petit éléctron libre en cloque, fait voler, pour un temps seulement, la barrière qui les sépare : c'est l'occasion de scènes à la fois très drôles et très tristes, mais qui sonnent toujours justes.
On ne s'ennuit jamais dans Juno, et on n'a jamais cette impression désagréable que c'est un adulte qui filme de faux ado singeants les ados - un problème récurrent dans les films mettant en scène des adolescents.
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Pourquoi alors ne pas avoir mis 10 ? Parce que plusieurs choses m'embêtent dans Juno, et elles m'embêtent encore plus parce que ce film à une très grande audience, dont c'est, comme moi, l'un des films préférés.
Il y a d'abord la question de l'avortement, évidement : pourquoi Juno n'avorte pas ? Elle est mineure, elle n'a pas d'argent, elle n'a pas de relation stable avec Paulie au moment où elle apprend sa grossesse, elle ne veut pas d'enfant et c'est un personnage volontaire et réaliste : la réaction logique pour elle serait de choisir l'avortement. Elle ne le fait pas car elle ne se sent pas à l'aise dans le centre médical où elle se rend, et qui est présenté comme angoissant, infantilisant, d'une propreté douteuse et où l'accompagnement des personnes désirant l'avortement est proche du néant (le personnage de l'hôtesse d'accueil est effectivement horripilant et donne envie de prendre ses jambes à son cou). Certes, ce n'est pas forcément loin de la réalité, mais le problème d'une fiction qui présente l'ambiance d'un lieu comme seul argument nécéssaire pour ne pas avorter invisibilise et minimise les autres raisons qui pourraient pousser Juno à ne pas garder le bébé.
Mais le pire arrive ensuite : comme elle ne veut pas d'enfant, elle décide de donner le bébé à sa naissance à un couple d'adoptant. Elle regarde donc les petites annonces et paf ! elle trouve la famille parfaite pour accueillir son pokémon, et eux aussi, il sont d'accord ouplahop comme c'est facile ! Ses parents acceptent sans soucis le fait qu'elle soit enceinte (pas de slutshaming, ce qui est plutôt chouette) et sont immédiatement d'accord, quasiment sans discussion, pour qu'elle mène la grossesse à son terme : ils n'osent même pas prononcer le mot avortement, et c'est donc un acte qui considéré de manière plutôt négative : sa belle-mère, Brenda (Allison Janney), demande juste à juno si elle " as pensé à .. ?". Croyante et pratiquante, elle qualifie même Juno de "très courageuse" pour ce choix, qui est donc vu comme positif. A aucun moment dans le film, on entend dire qu'une grossesse est un événement traumatisant pour le corps et pour l'esprit d'une jeune fille pas complètement formée de seulement 16 ans. Le regard des autres est un peu dur (la scène de l'échographie, qui montre le jugment dans les milieux hospitaliers est d'ailleurs très bien), mais bon, ça va quand même, surtout qu'à la fin, au bout de neuf mois, hoplà tout est redevenu comme avant, en mieux même parce son ventre est à nouveau tout plat, il n'y a pas de complications, pas d'attachement au bébé de la part de Juno, pas de déchirement, et même que Paulie Bleeker est devenu vraiment son copain parce qu'ils ont beaucoup mûris GRACE à cette grossesse, et au final une dame qui avait toujours voulu être maman peut le devenir, ce qui est merveilleux et généreux.
Message implicite : même si c'est une épreuve (montrée comme temporaire) et que c'est dur, ça vaut le coup de subir une grossesse, même quand elle n'est pas désirée, et même quand on est mineure (l'embryon "a déjà des ongles de pieds", après tout).
Juno aurait gagné à avoir un scénario un peu différent, plus crédible et plus positif sur la question de l'avortement (surtout quand on connait le nombre de grossesses non désirées et menées à terme aux Etats-Unies, qui conduisent de trop jeunes mamans à la précarité).
Puisque le film est construit autour de la grossesse d'une ado, pourquoi ne pas avoir représenté l'avortement comme une option enviable, mais interdite par les parents, ou déconseillée par l'Eglise ou par un professeur de confiance, en soit une autorité, qui aurait pris la décision à la place de Juno (le fait qu'elle subisse la grossesse la rend moins désirable et plus grave, aussi) ?
Il aurait peut-être fallu montrer une Juno plus en souffrance vis à vis du regard des autres, à l'école, dans le voisinage, ect .. (à un âge où on ne s'épargne pas) et une fin plus réaliste aurait été souhaitable, une fin un peu moins rose, pour montrer qu'une grossesse n'est pas, dans notre société, une parenthèse qu'on oublie une fois que le pokémon est sorti du ventre.
Une autre chose me dérange dans Juno : c'est le comportement du mari de Vanessa, Mark. Ce type agit clairement de manière ambigüe avec Juno, qui est mineure, et le réalisateur montre plus de la pitié pour lui qu'il ne le juge. Certes, c'est un lâche, un pauvre type qui ne parvient pas à grandir, un Kurt Cobain raté, mais c'est aussi un potentiel pédophile, riche de surcroit, qui se frotte contre Juno et qui flirte avec elle quand elle est seule avec lui. Si celle-ci est visiblement consentante, Mark est clairement en position de pouvoir, c'est un adulte, il a beaucoup d'argent, il est tout ce que Juno admire ET IL S'EN SERT, il la manipule. Beurk. Je ne vois pas la nécessité de cette caractéristique chez ce personnage, ça n'amène rien à l'intrigue. Un homme qui n'a pas su vieillir aurait suffi amplement.
Le bilan est donc mitigé pour Juno : je le regarde et le regarderai pourtant sans jamais me lasser, mais en gardant à l'esprit que si un film est bon, ce n'est pas toujours pour son message ...