A l'orée des années 2000, les soeurs Wachowsky étaient vues comme les nouveaux génies du cinéma américain : l'originalité et la fraîcheur de leur Matrix ayant considérablement renouvelé le cinéma de genre et de divertissement, elles étaient les nouvelles têtes à suivre de très près. Leur chute de réputation survint au film suivant, Reloaded, et s'affirma avec l'ultime volet de la trilogie, Revolutions.
Directement, c'est aux productions qu'elles se sont réduites, terribles échecs (majoritairement publics, la critique appréciant grandement leur V pour Vendetta). Leur retour à la réalisation devait faire couler de l'encre; Cloud Atlas ne manquant pas de faire débat, on en parlera une prochaine fois. Aujourd'hui, c'est de Jupiter Ascending dont on va débattre, Matrix pour les nuls du pauvre qui ne cesse d'accumuler les références à défaut de savoir bien imaginer son univers.
Et s'il devait y avoir un terme pour définir le film, nul doute qu'il serait aisément trouvé : "simplicité", autant narrative que visuelle. Parce qu'ici, les Wachowsky se contentent de recycler leurs références près mâchées, l'imagination de Matrix en moins. C'est cela qui me pause problème : comment les qualifier de génies, d'inventrices quand leur seul succès, le premier film véritablement complexe de leur carrière, ne semble tenir qu'en un concours de circonstance, en son timing de sortie et l'équipe technique qui y travaillait?
Et tout comme son illustre aîné, Jupiter Ascending avance au fil de ses références et de ses emprunts; Star Wars (la conclusion aux airs de Mustafar du pauvre), Stargate, Matrix même (l'auto-plébiscite est navrant), le visuel des Gardiens de la Galaxie, l'univers Bessonien, tout sonne superficiel et répétitif, et le résultat final semble n'avoir rien d'autre à proposer que ses effets spectaculaires réchauffés et sans aucune volonté d'inventer.
Face au vide de leur démarche artistique, qui se limite à pomper sans vergogne, forcément que les Wachowsky devaient nous gaver de leurs inévitables conflits de civilisation, d'oppression du peuple par un pouvoir totalitaire aux consonances manichéennes, et par une critique du capitalisme naïve et prétentieuse, oubliant sans doute le fait que Jupiter Ascending n'est en aucun cas un film indépendant, produit loin des firmes multinationales et multimilliardaires. Ironie de l'histoire, la critique de notre société produite par ceux qui la dirigent n'a pas su mobiliser ceux qui sont censés la renflouer.
Oublions le fond, interminable développement d'un univers qui ne sait jamais prendre ses marques et se poser de manière cohérente face au spectateur. Que nous reste-t-il? Son casting? Si l'on sait pertinemment que le choix de Mila Kunis et Channing Tatum s'est fait suivant leur incroyable charisme habituel, voir Sean Bean multiplier les sous-films de genre a quelque chose de profondément attristant, lui qui joue le traître comme il interpréterait Ned Stark.
Ne boudons pas le plaisir de voir Eddie Redmayne qui, avant Les Animaux Fantastiques, se perdait à surjouer les antagonistes de pacotille marxiste, insupportable antithèse de ce qu'il faut faire en tant qu'interprète du grand méchant de l'histoire. Digne des meilleurs excès du Bison de Van Damme, notre jeune Eddie, se croyant être le Kylo Ren des Wachowsky, tente de briller par la fragilité émotionnelle de son personnage, et passe son temps à pleurer quand il ne prend pas l'air mauvais, stéréotype parfait du mauvais méchant de SF.
Et tandis qu'on se fascine des erreurs de goûts concernant les costumes, nul doute que les designs peu inspirés des quelques aliens présents, et que la mise en scène fade et ultra-colorée des Wachowsky amènera au seul constat permettant d'apprécier le visionnage : Jupiter : Le Destin de l'univers (sacrée traduction) est l'un des meilleurs nanars de ces quinze dernières années, avec toute la prétention et la sincérité qu'il entraîne.
Et c'est aussi cela qui le rend unique : les Wachowsky, désireuses de retrouver leur succès lointain et prenant clairement le public pour des bêtes de somme, ont décidé de livrer une version simplifiée et lucasienne de leur Matrix, film de SF sans personnalité qui se prend pour une oeuvre philosophique quand elle ne présente au spectateur qu'un divertissement bourrin, mal joué, bête et qui tire horriblement en longueur, croyant intéresser le cinéphile par des twists prévisibles et souvent vus ailleurs. Un modèle de mauvais film hilarant.