Le rêve de spectateur qu'offrait Steven Spielberg en 1993 avec Jurassic Park s'est peu à peu dissipé, conséquence d'une suite (Le Monde Perdu) distrayante mais pas toujours inspirée et d'un troisième volet indigne. Quatorze ans, dieu sait combien de scripts rejetés et de faux départs plus tard, Jurassic World déboule en salles. Avec Colin Trevorrow comme grand orchestrateur. Qui ? Un réalisateur téléporté du cinéma indé avec un seul long au CV, Safety Not Guaranteed. Premier fan de l'original, le metteur en scène accouche d'un nouveau scénario en un mois, en piochant quelques idées dans le traitement imaginé par John Sayles en 2004. Impressionné par ce petit prodige, Spielberg lui passe le volant tandis qu'il se réserve le siège de producteur. Sachant que le premier opus est toujours considéré comme l'un des plus grands blockbusters jamais faits, bon courage à celui qui se sent à même de relever un tel challenge. La confiance affichée par Universal/Amblin surprend, on a envie d'y croire.
Derrière son inquiétude face aux dérives génétiques ou l'hubris humain, Jurassic Park assumait une critique dans sa posture de métafiction. L'œuvre déroulait produits dérivés, gadgets, logos et cie pour mieux dénoncer la logique mercantile derrière le zoo préhistorique. De là à y voir une allégorie de l'industrie cinématographique,...Deux décennies plus tard, Jurassic World reprend littéralement les mêmes motifs en les actualisant aux maux contemporains. On ne s'extasie plus devant la magnificence de créatures disparues, on consomme du dinosaure comme on consomme du pop-corn, les spectateurs veulent toujours plus, les rentiers aussi. Vous la voyez venir, la catastrophe. Pas de pot, elle va toucher aussi le film.
L'attitude réprobatrice envers l'industrie serait valide si Colin Trevorrow ne sombrait dans les excès qu'il fait mine de dénoncer. À l'inverse, ce nouveau chapitre de la saga pousse le cynisme et la facilité bien plus loin que le navrant Jurassic Park 3. L'ouverture occulte complètement la question phare (comment le parc a-t-il pu ouvrir en dépit de son lugubre passif ?), et la suite dévoile le pot-au-rose. Suite ou remake, difficile à dire. Chronologiquement postérieur, ce proto-reboot semble pourtant coincé des décennies en arrière avec une histoire qui singe le premier à un degré invraisemblable. Sauf que comme toute mauvaise copie, il faut rejouer les mêmes choses en 10 fois plus bête.
On s'en doutait, Trevorrow n'est pas Spielberg. Personne ne l'en blâmera, mais le manque de point de vue est douloureux. Les dinosaures n'ont plus d'envergure, le jeu sur les perspectives ou les atmosphères est pauvre, aucune scène forte à retenir. Le découpage ne donne jamais le temps ou le cadre pour offrir de vrais coups de force. Le bilan n'est pas fameux. Jurassic World s'apparente à une effroyable redite où les (rares) surprises sont vouées à s'emplafonner contre le mur de l'exaspération. Je pourrais citer entre autres le fameux Indominous-Rex dont les capacités échappent à la logique, les attractions complètement irresponsables, la soudaine tragédie familiale sortie de nulle part ou la dérive finale vers la pure série Z. Tout simplement scandaleux. Les personnages ? Aïe, aïe, aïe.
Le long-métrage s'était retrouvé au centre d'une polémique pour sa représentation arriérée de la relation homme/femme. L'attaque était bel et bien légitime, l'écriture des protagonistes est un gigantesque raté. Chris Pratt peut reprendre la panoplie de Star-Lord, la définition du cool ici c'est "mâle alpha qui fait des allusions beaufs, prend les armes et impose son charisme aux vélociraptors". Le traitement le plus cliché est néanmoins réservé à Claire. Entrepreneuse, indépendante, sans attache, ce qui se traduit dans Jurassic World par "pas cool, incapable et réfrigérante". Bryce Dallas Howard y insuffle un peu de vie mais rien à faire on ne voit qu'une caricature surannée. Sur ce terrain, la seule concurrence, on la trouve chez le vilain méchant qu'on jurerait sorti d'une parodie tant ses motivations sont aberrantes. Quant au duo de jeunes garçons, en plus de n'avoir ni l'alchimie ni l'énergie qu'affichaient Joseph Mazzello/Ariana Richards, il doit se coltiner une écriture qui le contraint parfois à faire n'importe quoi.
La vraie tragédie, c'est qu'on pourrait en rire. Hélas le titre c'est Jurassic World, pas Indominous Rex versus T-Rexnado . Le film se veut déférent, ce qu'il propose relève de la profanation. Le pire, c'est que même les idées les plus saugrenues prolongeaient les angoisses de Jurassic Park. En se calant sur le crédo du gros blockbuster normé (recyclage pompier, VFX de partout), ce reboot vient plutôt les confirmer, à son corps défendant. Les points positifs se limiteront à un rendu lisible, quelques jolies animatroniques et quelques moments réussis (l'Apatosaure, au hasard). On a coutume de dire que c'est dans les vieux pots qu'on fait la meilleure soupe. Encore faut-il que ses ingrédients n'aient pas encore dépassé leur date de péremption. C'est ce qui empêche Jurassic World d'être une bonne suite ou simplement un bon film à mon avis.