Tantôt promise pour 2005 avec une idée de départ intéressante (l’invasion du Costa Rica par les dinosaures) qui a pris un virage un peu moins séduisant (une équipe de mercenaires hybride humains/dinosaures), la suite de Jurassic Park 3 est finalement mise entre parenthèse en 2008 avec la mort de Michael Crichton, auteur des livres Jurassic Park et Le Monde Perdu. Le projet est relancé en 2011 avec l’arrivée des scénaristes de la Planète des singes – les origines. Ces derniers poseront les bases de Jurassic World avec deux idées novatrices : un dresseur de Vélociraptors et la création d’un dinosaure hybride. En 2013, le réalisateur Colin Trevorrow est choisi pour mettre en boîte ce 4ème volet.
Cela fait donc 14 ans, soit plus de la moitié de ma vie, que j’attends ce 4ème volet. Autant dire que j’ai rarement été aussi impatient de découvrir un film.
Au même titre que les membres de l’équipage dans Le Monde Perdu, les spoilers de cette critique seront un peu partout.
Et ma critique sera longue, alors comme dirait John Arnold : « Hold on to your butts ».
Ce qui faisait de Jurassic Park un film aussi réussi était entre autre l’écriture bien pensée de ses personnages. Jurassic World ne boxe malheureusement pas dans la même catégorie et c’est bien là son principal point faible. Mention spéciale aux personnages des gamins. La frivolité des amourettes adolescentes évoquée par les poses de beau-gosse de Zach, le grand frère, à chaque fois qu’il croise une fille est un bel échec. Répété 3 fois. Sa tentative de rassurer son petit frère avec l’anecdote de « Je t’ai protégé contre un fantôme en faisant une hache avec une feuille de papier » essaye de donner un semblant de consistant à leur relation fraternelle. En vain. Parce que là, c’est un dinosaure carnivore fou furieux de 10m de haut qui leur courent après. Donc ta feuille de papier, quelque part… Puis Gray, le petit frère, fondant en larmes au beau milieu d’une attraction parce que leurs parents vont divorcer alors qu’il était excité comme une puce 3 minutes avant… Une tentative aussi ridicule qu’inutile d’étoffer le background familial. On n’en reparlera d’ailleurs pas du film. Le personnage de Vivian a également été écrit à la truelle et est bien crispant : moralisatrice et culpabilisante envers sa sœur Claire, en lui faisant comprendre qu’il serait temps d’avoir une vie de famille et des enfants. Puis nous sortir une pseudo-déchirante scène d’adieu avec ses enfants alors qu’ils partent une semaine en vacances…
Autre aspect assez mal torché : le changement du personnage de Claire passant de working girl coincée à femme d’action en quelques heures grâce à un retroussage de manches et un changement de coiffure au moment d’abattre un dimorphodon. Heureusement, elle gardera un part de féminité tout au long de l’aventure en conservant ses talons (pratique pour échapper à un T-Rex).
Owen Grady, sorte de Robert Muldoon plus sexy sachant sourire, reste le personnage le plus intéressant du film.
Mais on ne retrouvera donc pas des personnages aussi attachants qu’Ellie Sattler, Ian Malcolm, ou Alan Grant.
Maintenant que ce principal point faible du film est balayé, concentrons-nous sur le reste, notamment ce qui nous pousse à aller voir un Jurassic Park : les dinosaures. Et de ce point de vue-là, on est servi ! La variété est au rendez-vous tant au niveau du nombre d’espèces, que de l’environnement dans lequel elles évoluent (terrestre, marin et aérien) ou encore de leur âge (les jeunes tricératops utilisés comme poneys côtoient le T-Rex, doyenne du parc). On a même droit à un ankylosaure en action qui n’a rien d’ankylosé (mais qui se fait quand même killer) par la nouvelle recrue du film.
Cette dernière est d’ailleurs assez réussie. Les scientifiques de Jurassic World prennent des risques en créant un dinosaure de toute pièce en mélangeant divers ADN. Ils vont même jusqu’à se mouiller en incluant celui d’une seiche. Malgré un design assez passe-partout, sa réussite réside dans sa cruauté, son intelligence et sa perversité: elle laisse sa victime totalement exposée et sans défense pendant une durée anormalement longue avant de la dévorer, approche silencieusement dans le dos ses proies, attend que ses victimes ressortent de l’eau après avoir plongé, feinte son départ pour mieux revenir à la charge et tue pour le simple plaisir. L’Indominus Rex est tellement vicieuse et fourbe que je me demande si elle ne contient pas de l’ADN de chinois.
Le pari de rendre crédible le domptage de Vélociraptors était loin d’être réussi. Fort heureusement, cet aspect est très bien géré. On ne se retrouve évidemment pas avec des dinosaures en train de jongler ou de sauter dans des cerceaux enflammés. La relation entre Owen Grady et les dinosaures rappelle celle de certaines personnes vivant avec des prédateurs mortels (si Melanie Griffith l’a fait, pourquoi pas après tout ?). Et puis malgré ce lien spécial entre le personnage de Chris Pratt et les raptors, j’étais loin d’être rassuré quand un employé tombe dans leur enclos et va se faire sauver par Owen, lui-même pas des plus à l’aise face à ces animaux, qui manquent de peu de le manger… Le côté imprévisible des Vélociraptors est donc toujours au rendez-vous. Il est toutefois dommage et maladroit qu’ils changent de camp aussi facilement que pourrait le faire Jack Sparrow (Owen est mon Alpha, puis à la manière d’un Dragons 2, l’Indominus Rex devient mon Alpha, puis finalement Owen le redevient donc je vais tataner la tronche de mon Alpha précédent puis je termine en roulant pour ma gueule en solo).
Par contre, bien que ce soit surement pour lancer des pistes pour les futures suites, j’ai trouvé que l’idée de se servir des dinosaures comme d’armes est ridicule. Un échec couru d’avance dans la droite lignée de la glorieuse Opération Chaton Acoustique durant la Guerre Froide. J’espère vraiment qu’une autre idée sera exploitée pour la suite…
Dans la continuité du traitement des dinosaures, les effets spéciaux sont plus heureusement plus réussis que ce que laissait envisager le premier trailer. Comme le veut la tradition, ils sont ramenés à la vie par ce mélange toujours fort réussi de CGI et d’animatroniques.
L’environnement dans lequel évoluent les personnages et les dinosaures est également une franche réussite : Colin Trevorrow réalise le fantasme de nombreux fans et le rêve de John Hammond en proposant un parc fonctionnel grouillant de visiteurs. L’émerveillement est bien là avec des installations proposant des hologrammes de dinosaures grandeur nature, des infos scientifiques et ludiques, des tours en kayak ou en gyrosphère au milieu des herbivores, des attractions spectaculaires comme celle du Mosasaure ou du T-Rex, etc. Le spectacle est total et la magie opère. Bref, il fait bon de revenir sur Isla Nublar 22 ans plus tard.
Entraperçus dans la bande-annonce, les clins d’œil au premier film pleuvent de tous les côtés : le plan du dinosaure dans le rétroviseur pourchassant un véhicule, les enfants piégés par l’Indominus Rex dans la gyrosphère qui renvoie à l’attaque du land-cruiser par le T-Rex, une pauvre victime assise se faisant sévèrement dévorer par le plus gros dinosaure du film, le retour des mythiques Monsieur ADN, Jeep, lunettes nocturnes et du Centre des visiteurs abandonné, un petit coucou de Ian Malcolm au détour de la couverture d’un livre, la statue de John Hammond qui veille sur le parc, le come-back du dilophosaure, les deux adultes et enfants encerclés par les Vélociraptors, le sauvetage final par le T-Rex, etc.
Plus étonnant, Jurassic World se permet même de faire quelques références aux deux autres suites. Pour Le Monde Perdu : un raptor qui se jette de tout son poids pour briser une vitre et glisse sur le sol, Barry qui se réfugie dans un tronc d’arbre pour échappe à un raptor comme le faisait Sarah Harding face aux stégosaures, un homme qui se fait écraser comme un chewing-gum par une patte de dinosaure, une queue de Vélociraptor en l’air au milieu des hautes herbes. La scène où l’hélicoptère se fait abattre par les ptérodactyles aurait d’ailleurs dû être le final du Monde Perdu, avant que Steven Spielberg ne décide de faire son King-Kong dans San Diego en lâchant le T-Rex. Quant à Jurassic Park 3, c’est plus léger mais on retrouve notamment la communication entre les dinosaures, le squelette du Spinosaure (se faisant exploser par le T-Rex : son honneur est dorénavant lavé) ou encore ce plan repris à l’identique lorsque les enfants se font poursuivre par l’Indominus Rex.
Bref, en plus du respect évident pour le premier Jurassic Park, on retrouve dans Jurassic World l’ADN du Monde Perdu et de Jurassic Park 3, ce qui ne manquera pas de plaire aux fans !
Jurassic World possède aussi un petit côté méta en étant conscient de son côté parfois risible : le nom de l’Indominus Rex moqué par Owen Grady, le côté absurde de Claire se retroussant les manches pour montrer qu’elle est prête pour l’action, le raptor qui déboule au ralenti façon La Petite Maison dans la prairie dans un climax où l’Indominus Rex se fait battre par le combo aussi débile que jouissif Mosasaure + Tyrannosaure + Vélociraptor (avec un acronyme comme MTV en même temps…). Puis lorsque dans la gyropshere et face à la brèche, Gray dit à son grand de faire demi-tour, Zach lui rétorque que s’il veut vraiment profiter de Jurassic World, il faut s’y engouffrer. Une réponse clairement faite à l’attention du spectateur qui trouvera à juste titre l’idée totalement irréfléchie, ridicule et dangereuse.
Le film assume aussi l’époque cinématographique dans laquelle il se place : les visiteurs de Jurassic World réclamant du bigger and louder sous peine d’être lassés renvoient aux spectateurs qui en réclament toujours plus. Le personnage de Lowery Cruthers rappelle alors que Jurassic Park n’avait pas besoin de cette surenchère pour être parfaitement réussi.
En somme, Jurassic World ne peut pas être pris au premier degré et assume clairement son statut de pop-corn movie avec toutefois ce qu’il faut de réflexion sur les manipulations génétiques hasardeuses.
Côté casting, Chris Pratt l’acteur nous sort une palette de jeu assez sérieuse alors qu’il est plutôt habitué au registre comique, comme par exemple 5 ans de Réflexion, qu’il délaisse ici quelque peu. La scène où un Apatow-saure lui fait ses adieux en deviendrait symbolique.
Bryce Dallas est la touche de féminité de Jurassic World, s’en sort correctement mais ne va certainement pas remporter d’Howard pour sa prestation.
Ty Simpkins campe le jeune Gray avec quelques nuances dans le jeu d’acteur.
Son grand frère irritant est joué par Nick Robinson qui, malgré son nom de famille, ne nous refait fort heureusement pas le coup du gamin qui survit des semaines sur une île au milieu de dinosaures.
« Omar Sy de m’avoir accepté dans Jurassic World ! », c’est sûrement ce qu’a dû dire la révélation d’Intouchables tant son rôle aurait pu être campé par n’importe qui.
Irfan Khan joue Simon Masrani, le milliardaire qui reprend le flambeau de John Hammond et s’emportera quand il comprendra que le contrôle lui échappe : la fameuse Colère de Khan.
Michael Giacchino, décidemment très prolifique cette année, nous sort une partition très réussie, jusqu’ici sa meilleure de l’année! Toutefois en-dessous de John Williams mais bien mieux emballée que celle de Don Davis pour le troisième volet. Avec ce qu’il faut de tension (« Indominus Wrecks », « Raptor Your Heart Out »), d’émotion (« Pavane for a Dead Apatosaurus »), de magie sortie tout droit d’un Disneyland (« It's a Small Jurassic World »), de tribalité sauvage renvoyant au Monde Perdu (« Sunrise O'er Jurassic World ») ou d’hommage au premier film (« Welcome to Jurassic World »). J’ai juste eu peur de l’utilisation à tort du thème mythique du premier volet entendu lors de la découverte du brachiosaure alors qu’il est utilisé dans Jurassic World pendant que les enfants débarquent dans leur chambre d’hôtel…
Jurassic World est un film bien rythmé (notamment par la belle composition de Michael Giacchino), très divertissant et spectaculaire réalisant le fantasme de nombreux fans et le rêve de John Hammond en proposant un parc fonctionnel. Mis en boîte par un amoureux de Jurassic Park qui respecte le matériau d’origine et inclue même l’A.D.N de ses deux suites, le fan service est clairement au rendez-vous. Le film reste toutefois conscient de ses limites et sait même faire preuve d’autodérision dans un ensemble frôlant parfois le ridicule. Dommage que certains personnages manquent de consistance.
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