Il est là, enfin !
En 1993, Steven Spielberg fait rêver les gamins et les ados du monde entier (en plus de révolutionner l’image de synthèse et les effets spéciaux) en sortant « Jurassic Park », adapté des écrits de Michael Crichton. Vingt ans plus tard, après un second volet excellent et une erreur de parcours, Colin Trevorrow et Universal Studios redonnent naissance à nos lézards préférés avec « Jurassic World ».
Alors, digne héritier de son illustre ancêtre, ou bien nanar absolu ? Je tiens à prévenir qu’il y aura sans doute quelques légers spoilers dans la suite.
Ça commence assez mal, avec une accumulation de tous les clichés possibles des blockbusters américains. On entame avec un petit garçon passionné de dinosaures, hyperactif et avec une coupe de cheveux douteuse. Forcément, c’est un petit génie, et il est insupportable. Il a un grand frère plus ado, plus intéressé par les filles que par les gros monstres préhistoriques, et plus con. Les deux gamins vont passer un weekend au parc de Jurassic World, où travaille leur tante Claire.
Après avoir pris un avion et un ferry, ils se retrouvent au dit parc, un gigantesque complexe qui accueille vingt mille visiteurs et propose une quinzaine d’attractions. On fait alors connaissance avec les autres stéréotypes (euh, personnages…) du film : Claire, la directrice du parc, une carriériste-robot qui semble incapable de parler autrement que par chiffres ; Owen, un ancien Navy SEAL reconverti dresseur de velociraptors (le mec cool qui vit dans une caravane) ; et, last but not least, Hoskins, un gros militaire qui porte un bouc et qui veut utiliser les dinosaures comme armes de guerre. À le voir gesticuler et s’extasier devant sa bêtise sans nom, cela me fait regretter que son sergent instructeur n’ait pas été un peu plus sec avec lui par le passé…
Je vous passe le reste des clichés et des incohérences, si ça vous intéresse, certains en parlent mieux que moi.
Toujours est-il que dans cette première partie introductive, l’on suit d’une part les deux enfants qui découvrent le parc, ce qui nous donne également à voir les attractions pensées pour ce zoo de sauriens géants (qui se résument souvent à voir de grosses bêtes bouffer des chèvres ou des trucs plus gros). En parallèle, on suit la journée de boulot de la brave Claire, qui présente à des investisseurs la nouvelle idée de ses généticiens : un nouveau dinosaure, un hybride, plus grand, plus gros et plus méchant, histoire de renouveler l’intérêt du public. Evidemment, en moins de temps qu’il n’en faut pour dire "What could possibly go wrong ?", le monstre s’échappe, croque quelques techniciens sur la route, et commence à dérégler la belle mécanique de Jurassic World…
À bien des égards, on est face à un blockbuster hollywoodien à gros budget classique : l’argent a dû aller aux CGI, et les écrivains ont été un peu oubliés. C’est bourré d’incohérences, de ressorts scénaristiques débiles et de personnages plus stupides les uns que les autres. Comme toujours, les plans choisis pour résoudre la situation sont les plus cons auxquels on puisse penser, et il faut souvent s’en remettre à quelques Deus Ex Machina bien accommodants pour sauver la situation.
Mais.
Passée l’introduction, très inégale (la présentation du parc, par exemple, est sympathique, mais les gamins sont insupportables), dès que l’on entre dans le vif du sujet, on retrouve des éléments qui ont fait le succès des deux premiers films. Les dinosaures sont des monstres surpuissants et terrifiants, et des réussites aussi bien visuelles (même si l’on pourra déplorer un manque d’inventivité au niveau des couleurs, très ternes), qu’auditives. Si l’on ne retrouve pas l’ambiance hostile et pesante du second film, réellement passionnante, les hommages au premier volet sont tellement nombreux qu’il pourrait presque s’agir d’un remake.
Les personnages de Chris Pratt et surtout, de Bryce Dallas Howard, constituent les nouveautés rafraichissantes qui permettent à mes yeux de sauver le film. Si le premier ne semble survivre à Hollywood que grâce à son image ‘cool’, cela fonctionne ici. On est loin du charisme un peu étrange de Jeff Goldblum, mais c’est quand même mieux que le vieux Sam Neil… La vraie amélioration concerne néanmoins le personnage féminin, où l’on passe d’une blonde fadasse et cruche (Laura Dern) à une rousse flamboyante et carrément badass.
(Je me demande comment j’ai fait pour passer à côté de Bryce Dallas Howard pendant tant d’années, cette femme est vraiment superbe…)
Bon il y a pas mal de choses que l’on pourrait reprocher au film. J’ai grandi avec les « Jurassic Park », et du coup, voir d’immenses carnivores écailleux bouffer tout le monde me remplit de joie, mais même dans cette optique, on sent que le film de Trevorrow aurait pu faire mieux :
- Le fait que le parc est fonctionnel n’est pas exploité. Bon sang, il y a un dinosaure enragé et invincible d’une part, et vingt-mille jambons d’autre part. Il y avait vraiment matière à exploiter ce terrain de jeu gigantesque pour servir le scénario d’un film catastrophe. Là, on a plus l’impression d’assister à un remake du premier avec un plus bel emballage.
- Le manque d’imagination et de variété au niveau des dinosaures. C’est bien gentil de nous inventer un monstre surpuissant, on est toujours très content de revoir les stars des épisodes précédents, mais l’on retrouve tout le temps les mêmes bestiaux, et ils sont tous très marron/grisâtre. Je ne suis pas un expert, et il paraît que la couleur des dinosaures est un sujet sur lequel il est dur de se prononcer : raison de plus pour en profiter pour donner plein de couleurs à ces bestiaux, d’autant plus que des mecs qui jouent avec la génétique doivent sans doute pouvoir le faire assez facilement, et que cela plairait au public (technique marketing très simple – pourquoi croyez-vous que les balles de tennis sont d’une jaune aussi dégueu ? Un indice, elles furent jadis aussi blanches que les lignes, et un beau jour, quelqu'un a commencé à retransmettre le tennis à la télé).
Malgré tout, on ressent au visionnage du film un véritable amour des premiers opus de Spielberg et de Crichton, alors que Trevorrow y multiplie les hommages, parfois au détriment de sa propre histoire. Le film oscille en fait entre un esprit nanardesque mal assumé – ce combat final, nom de Dieu mais que c’est ridicule – de vraies bonnes idées (l’énorme dinosaure aquatique, la scène de la volière, avoir casté Bryce Dallas Howard) et des incohérences d’une stupidité confondante. Ah, et j’ai apprécié l’apparition de ce brave Piscine Molitor Patel, qui nous explique qu’il suffit de regarder les animaux dans les yeux pour savoir ce qu’ils pensent. Un clin d’œil direct à « L’Odyssée de Pi ».
Je serais enclin à dire que malgré ses défauts, « Jurassic World » comble un vide et remplit partiellement son rôle face à la longue attente des fans de la première heure de « Jurassic Park », qui y trouveront sans doute leur compte. C’est un peu mon cas, et j’avoue sans complexe avoir passé un très bon moment devant le plus grand écran de cinéma du monde. À recommander aux fans de dinosaures et de jolies rousses, mais pas aux puristes ni aux paléontologues amateurs, et aux nostalgiques du Spielberg de 1993.
Pour les autres, le film s’inscrira dans la déjà longue lignée des blockbusters américains décérébrés.