Juré n°2
6.8
Juré n°2

Film de Clint Eastwood (2024)

Cet énième « petit dernier pour la route »...

Je pense que tout le monde l'aura acté désormais : tant que Clint Eastwood vivra, il réalisera.

Rien ne semble être en mesure de l'arrêter, pas même cet âge plus que canonique de 94 printemps. Et même s'il a annoncé (une fois encore) que ce Juré n°2 serait son dernier film, tout porte à croire que seule la grande faucheuse saura définitivement arrêter notre légendaire Dirty Harry. C'est peut-être même là l'origine de sa remarquable longévité. Et si d'un côté on ne peut que se réjouir pour l'homme, de l'autre, on est aussi en droit de s'inquiéter pour l'artiste. Son dernier Cry Macho nous a rappellé quel risque on encourait quand on ne savait pas s'arrêter à temps. Et personne n'aime, je pense, voir ses idoles abîmées, surtout quand elles sont abîmées par elles-mêmes. D'où ma réticence initiale d'ailleurs à aller voir ce Juré n°2...


Il ne faut pourtant pas attendre longtemps pour que cet énième dernier film de Clint Eastwood apporte ses quelques gages de qualité.

Générique à l'ancienne mais qui présente néanmoins le mérite d'être très bref tout en étant clair sur l'enjeu central du propos ; protagonistes rapidement et efficacement exposés – et cela malgré un manque de subtilité qui reste néanmoins dans les bornes de l'acceptable – et puis surtout une réalisation qui va au plus simple mais qui n'oublie pas d'être propre : le fameux sens de la rectitude sans fioriture auquel nous a habitués le vieux maître depuis un certain temps. Bref, on retrouve là toutes les qualités d'un cinéma classique qui, pour ma part, a tendance à me manquer en ce moment. Donc autant vous dire que, pour un début, ce Juré n°2 a su me prendre dans le sens du poil.


Pourtant, malgré cette satisfaction initiale, une impression m'est restée un certain temps ; ce sentiment d'assister à un film sans ambition. Classique film de procès, Juré n°2 s'engage rapidement dans les conventions du genre, jusqu'à jouer les redites un brin trop appuyées de Douze hommes en colère. Tout ça donne au film des allures d'œuvre devant se tenir sur des béquilles pour rester droit. L'impression de se confronter à un demi-Eastwood – voire à une œuvre d'auteur assisté – est prégnante, ce qui peut nuire à son affirmation et à son caractère.


Ainsi navigue-t-on en permanence entre deux eaux : d'un côté le plaisir d'un film académique bien mené et de l'autre la frustration de sentir un trait un brin trop lissé là où, autrefois, l'intraitable inspecteur Harry n'aurait pas manqué d'y aller parfois avec le revers de la crosse.

Ça se ressent dans tous les secteurs : d'un côté on a une intrigue qui parvient rapidement à enrichir sa simple redite de Douze hommes en colère...

(Je pense notamment au fait que le personnage principal finisse par se rendre compte qu'il a sûrement été – et presque malgré lui – le meurtrier dans l'affaire qu'il est amené à juger...)

...mais de l'autre on arrondit pas mal d'angles avec des choix d'écriture – voire même d'acteurs – plutôt discutables. Personnellement, j'ai eu par exemple beaucoup de mal avec l'interprétation de Nicholas Hoult : trop lisse, pas assez subtil et qui, pour le coup, n'a pas été aidé par un script qui s'est voulu à son égard trop démonstratif.

(Sa représentation du mari modèle est totalement surfaite, stéréotypée et impersonnelle. Idem pour sa façon de sur-appuyer son malaise sur les lieux du crime, jeton d'ancien alcoolique anonyme à la main : c'est trop.)

Même problème parmi les seconds rôles, notamment chez les onze autres jurés. Ils sont caractérisés à gros traits et n'évoluent jamais. Ça a des faux airs de feuilleton policier pas très élaboré. Dans un film qui dispose d'autant de temps pour développer ses personnages, ça fait tache.

Heureusement qu'en contrepartie certaines valeurs sûres parviennent a porter l'édifice malgré le peu de matériau qu'on leur donne : les anciens Toni Collette et J.K. Simmons en tête, et de loin...


Même impression pour ce qui relève de l'univers dépeint. Eastwood ne manque jamais une occasion de brosser son Amérique : celle des grandes étendues et des petits patelins un peu rustres et Juré n°2 n'échappe pas à la règle. Ce serait d'ailleurs sur ce point que ce film aura su le plus me toucher. Parce qu'au-delà du procès d'un crime ordinaire, on retrouve en toile de fond tous ces jugements lapidaires et raccourcis dont souffre une Amérique trop meurtrie.

(C'est cette relation d'allure toxique qui cache en vérité une autre façon d'aimer. C'est ce type aigri qui garde en lui toute la rancœur qu'il nourrit à l'encontre de bandes qu'on laisse impunément marauder. C'est ce papy marginal dont on n'a pas compris que sa parole était déformée par la joie et l'envie de se sentir enfin utile.)


Malheureusement, sur cet aspect aussi, le film souffle autant le chaud que le froid. Là encore, des choix un peu fades et une écriture toujours trop explicite lessivent quelque peu ces belles intentions.

(Le personnage de l'accusé notamment aurait gagné en crédibilité en restant davantage taiseux. Ses deux déclarations d'amour à cœur ouvert donnent davantage l'impression d'être confronté à un ex membre de boys band cherchant à se donner un look ténébreux plutôt qu'elles ne transpirent l'esprit de l'Amérique des tréfonds.)


Nonobstant, cette frustration, bien que constante, n'a jamais vraiment empêché le plaisir. Certes la prise de risque est nulle, mais ce n'est pas comme si l'œuvre tournait à vide non plus. Bien que moins affirmé, l'œil d'Eastwood habite ce tableau et on sent encore le cœur du presque centenaire battre pour livrer sa vérité sur son Amérique, au-delà des jugements expéditifs. Et vu comment le vieil homme prend la peine de nous donner à voir non pas une nation cynique mais au contraire une mosaïque de personnages et de contradictions, cela permet de dégager de cet ensemble, envers et contre ses limites, une générosité et un réel amour pour un pays « loin d'être parfait » comme il aime à répéter, mais dont on ne saurait connaître une version meilleure. Voilà le genre de regard sensible face auquel il est, pour ma part, difficile de rester insensible.

Aussi me suis-je laissé porter jusqu'au climax final, presque tendu face à l'annonce du verdict, et sincèrement surpris du choix final opéré ; pertinent dans le fond même si – encore et toujours – il reste perfectible sur la forme.

(Personnellement j'aurais tellement plus apprécié que ce film se termine vingt secondes plus tôt, simplement sur Justin jouissant de son bonheur en l'ayant bâti sur le deni et l'égoïsme. S'arrêter là-dessus nous aurait mécaniquement conduit à nous interroger sur la tenabilité d'un tel choix. Au lieu de ça, ce film préfère l'option un peu plus sensationnaliste – et que je trouve personnellement moins intéressante – de la nouvelle confrontation avec le procureur. Parce que, l'air de rien, ce choix est une fausse audace, une fois de plus. Justin n'échappera pas aux mailles du filet : le film l'acte. Comment imaginer que Faith puisse venir jusqu'à sa porte et accepter de partir sans relancer l'affaire ? En fait le suspense laissé n'en est pas un. Limite, il est une lâcheté en n'osant pas raconter ce qui est censé advenir et qui aurait mérité que le film y porte un intérêt. Encore et toujours la frustration d'un manque d'audace.)


Alors bien sûr, j'ai parfaitement conscience que ce final, je le juge aussi au regard du fait qu'il est peut-être aussi celui de toute une carrière, et pas de n'importe quelle carrière ; celle d'un immense auteur qui aura su se poser comme une figure de proue – une icône – de tout un cinéma.

S'imaginer qu'il puisse s'agir-là du dernier plan livré par une grande légende avant de s'éteindre, ça instaure une certaine solennité qu'on ne saurait ignorer, tout comme ça pose aussi des exigences malgré soi. Aussi me suis-je fait une raison en me disant ceci : si ça se trouve, borné comme il est, Clint Eastwood trouvera le moyen de nous en pondre encore un ; un de ces fameux derniers films. Donc autant prendre ce Juré n°2 pour ce qu'il est : peut-être pas l'un des grands chefs d'œuvre du maître, il est vrai, mais au moins un énième petit dernier pour la route que tout amoureux du cinéaste saura apprécier...

Créée

le 7 nov. 2024

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