Au départ, le doute est encore permis: le film s'ouvre en effet sur la présidente du tribunal, figure neutre par excellence, puisque image de la justice. On assiste ensuite à différentes versions des faits, rapportées par l'avocate de chaque parti; des versions nécessairement exagérées, parti-pris, faillibles. Dans ce premier face-à-face, l'ancien couple, et leurs enfants, commencent à exister, mais timidement, prudemment. La vérité est difficile à distinguer. C'est la suite du film qui nous la dévoilera, en pénétrant directement l'intimité de ce noyau disloqué, de manière froide, incisive, désagréable.
Réalité caricaturale, diront certains; il est vrai que l'on comprend très rapidement (surtout si on a vu le court-métrage qui le précédait) du côté de quel parent le film se place; plus il avance, plus les ambiguïtés s'effacent, jusqu'à un final horrifiant qui ne laisse plus de doute possible. Jusqu'à la Garde est cependant d'une telle maîtrise et d'une telle intelligence dans sa progression que tous les éléments qui pourrait le pousser vers le stéréotype grotesque, depuis sa réalisation brute et documentaire, sans musique ni couleur enjoliveuse, jusqu'à l'interprétation très (trop?) excellente de ses acteurs, deviennent de redoutables instruments de crédibilité: emprisonné dans ce huis-clos familial, on y croira jusqu'au bout, subjugués par la vitalité des comédiens. Le film aurait pu être plus ambiguë, et alors? Il est suffisamment subtil et abouti pour nous faire marcher dans son histoire, suffisamment fort pour nous placer au plus près des protagonistes, ce qui est déjà une grande prouesse.
Seul point noir scénaristique: la grossesse non désirée de la fille aînée, qui ne connaîtra pas de "résolution" concrète, ce qui fait qu'on s'interroge un peu sur son utilité.
Un deuxième argument qu'on peut opposer en défaveur de ce film est que, en raison de son dénouement (prévisible pour qui a vu le court-métrage) ce long-métrage n'apporte rien au court dont il est issu.
Le mari est un homme violent, il est un danger pour sa famille, on l'aura compris
Quel intérêt de créer une suite, puisque le court se suffisait amplement à lui-même?
Le premier intérêt tient dans le scénario: il a mûri, et ses personnages aussi. Fini les émotions à vif et l'opposition entre la victime fuyarde et son poursuivant bourreau: ici les ex-époux sont (à peu près) à égalité et se toisent dans un duel plus ou moins raisonné et équitable, du moins au départ: chacun d'eux a en effet une partie de la justice de son côté, même si l'ancien mari conserve une certaine influence physique et psychologique sur son ex-femme.
Ensuite, si "Avant que de tout perdre" se focalisait surtout sur les émotions et actions de la mère, "Jusqu'à la garde" s'étend désormais au point de vue de la famille entière, s'intéressant à ceux des enfants, qui délaissent ici leur passivité première pour faire leurs propres choix, chacun à son échelle, mais surtout à celles du père, sans doute pas un monstre, mais en tout cas une brute épaisse aveuglée par la rage, père probablement aimant, mais indigne. Le film leur donne la parole à tous, au cours de confrontations filmées en plans serrés, étouffants, étirés jusqu'au malaise, transformant la déchirure conjugale amorcée par le court en véritable explosion familiale. "Ta mère a posé une bombe !" criera le père à son gamin terrorisé. Il ne croira pas si bien dire...
Et après ladite explosion, nous laissons deux victimes éplorées sur leur palier, jetant à leur voisine indiscrète un regard d'une dureté féroce. Puis la porte se referme, nous laissant dans le noir. Le reste ne nous concerne plus.