Acteur émérite s’il en est, Viggo Mortensen possède en réalité tant de cordes à son arc qu’il serait plus juste de parler d’artiste total, une bien belle âme s’épanouissant aussi par-delà les champs (déjà fertiles) du cinéma. Et quitte à s’en tenir à ce dernier, voici que l’américano-danois est passé depuis peu derrière la caméra, d’abord avec Falling, ensuite avec The Dead Don’t Hurt : un second long-métrage lui ressemblant à s’y méprendre, classieux et rugueux qu’il est dans son écrin historique et romantique.


Dans le sillage d’une conquête de l’ouest achevée, et à l’ombre d’une guerre de Sécession couvant, The Dead Don’t Hurt prend des allures de western crépusculaire, recyclant les codes et schémas premiers du genre : le décorum d’usage (saloon et Nevada poussiéreux), colts et fusillades, magouilles et vils gredins. Toutefois, ce pan d’intrigue endosse davantage un rôle accessoire plutôt que central, Mortensen s’en servant pour mieux dérouler sa romance à la croisée des chemins, entre immigration, nouvelle vie et quête d’un bonheur taisant son nom. La somme de différents destins en ces terres lentement mais sûrement colonisées, ce qui avec le recul qui est le nôtre tend à gagner en profondeur.


L’autre particularité de The Dead Don’t Hurt réside en sa narration non linéaire, passé et présent d’entremêlant pour brouiller les contours d’un scénario assez banal… en apparence. Dévoilant d’emblée ses cartes, il développe un suspense paradoxal, son rythme lent au possible et la conduction parallèle de ses deux temporalités parvenant à nous happer : et si son académisme formel tend à exacerber le classicisme de ses péripéties et enjeux, force est de constater qu’il en tire une aura des plus marquées, patiente et sans artifices.


Fatalement, sa propension aux silences et suspensions engendre un panache en berne, bien que le lent défilement du temps trouve un écho particulier dans la cruauté, polymorphe, d’une société balbutiante : un état de fait se retrouvant dans la relation ordinairement spéciale de Vivienne et Holger, tous deux dépassés par leur rencontre et l’inconnue régissant leurs lendemains. Ils s’y frotteront pourtant avec courage et pudeur, s’attachant notre sympathie au gré de leur séparation, réunion… et adieux « prévus » de longue date.


Ainsi, quand bien même le versant « vengeur » de son dénouement ne nous convaincrait guère, convenons qu’il s’agit là d’une belle proposition : bien mise en scène et magnifiquement interprétée, sans oublier la composition réussie d’un Viggo décidément au four et au moulin.

NiERONiMO
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le 29 mai 2024

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