Un panneau indique Paris 50 kilomètres.
- "Haaaaaa ! On voit enfin le bout tonton !" dis-je en m'extirpant de ma léthargie en baillant et m'étirant tant bien que mal dans la carlingue étriquée de la deudeuche.
- "Tu crois pas si bien dire mon grand, on est même quasiment arrivé. C'est du côté de Versailles que je te traine."
- "Hé mais tu m'avais annoncé Paname ! J'pensais quartier latin moi ! Qu'on irait faire un tour à Gibert Joseph puis casser la croûte chez les noiches !"
- "Calme toi mon grand, j'comprends rien à ce que tu me dis ! J'te préviens que tu vas pas te marrer mon con, sont plutôt névrosés mes potes. Névrosés mais blindés ! Et y aura p't'être moyen de récupérer leur Jag' à l'issue."
- "Aaah ! Là tu flattes mon joufflu tonton ! Il te remercie déjà !"
- "Qu'il se tienne tranquille et que j'l'entende pas grincer !"
Banlieue ouest de Paname, période pré-Giscardienne : des arbres, des pans de pelouse, de persistantes effluves de fleur de lys, une cousine de la Suisse, sœur ennemie de la banlieue rouge bétonnée de la classe ouvrière.
Une maison atypique, design. Un maître des lieux tout aussi tordu : Charles Masson (Michel Bouquet), directeur d'une agence de pub et père de famille. Un faciès glauque, sinistre, d'une dépression contagieuse, la bouche pincée, presque agrafée. Le genre de Gus avec qui tu ne te fendras jamais la gueule (ou alors à coup de hache). Un handicapé du sourire à la posture et à la ganache troublantes de similitudes avec Mitt'rand.
C'est indécelable mais Michel est très contrarié car il vient de zigouiller sa maitresse Laura lors d'un de leurs jeux SM qui a dégénéré. Il a lâchement abandonné son corps nu, décomplexé du poil sous les bras et la gougoutte à l'air après l'avoir fait couiner une ultime fois en l'étranglant à sa demande. Masson est d'autant plus emmerdé que la nympho défunte était l'épouse de François, son meilleur ami, ami depuis leurs enfances, plus qu'un frère...
Chabrol plonge cette trouble histoire dans un maelström de réflexions sur la culpabilité, le mensonge, la trahison et l'amitié. Une certaine forme d'anti-conformisme et de contre-pieds moraux confère à "Juste Avant La Nuit" comme un avant-goût du style à venir de Bertrand Blier.
Je tiens à dénoncer le rôle humiliant infligé à Dominique Zardi qui coiffé d'une moumoute roukmoute des plus improbables a également subi les pires outrages vestimentaires par le Francis Lalane de la mode : Karl Lagerfeld er selbst.
Menée à un rythme pachydermique et réalisée avec des semelles de plomb, "Juste Avant La Nuit" est la première déception Chabrolienne sur mon chemin initiatique.
- "T'en tires une gueule mon grand !"
- "T'inquiètes tonton, c'est rien..."
- "Tu t'es emmerdé, c'est ça ?"
- "Bouais, plutôt ! Y m'a foutu le cafard ton Michel ! Un mec aussi triste c'est d'une telle violence ! Il m'a estropié ce con !"
- "T'as pas tort. Je me souviens que Zidi, mon cadreur de l'époque, a saigné de l'œil à plusieurs reprises lors du tournage. D'où son besoin maladif de réaliser des comédies tellement il a été traumatisé !... Sinon, le Jura, tu connais ?"
- "Euh..."
- "Le noir et blanc, ça te dérange ?"
- "Oh non, j'suis pas raciste !"
- "Mouais mais t'es comme même con ! Tu changeras pitète d'avis en cotoyant les boches ! Quoi qu'avec ta gueule...".
Mon humble cycle consacré à Chabrol est par ici : http://www.senscritique.com/liste/Tonton_Claude/395073