Le film est maladroit, bricolé en deux temps trois mouvements par François Ruffin et Gilles Perret. Dans l'urgence du moment. En décembre 2018, alors qu'éclatait la révolte dite des gilets jaunes, nos deux gugusses montent dans la bagnole de Ruffin, sans avoir défini un itinéraire précis et vont descendre, depuis Amiens, jusqu'à la Méditerranée. Un vrai road trip, ponctué par des rencontres avec des gens ordinaires, de la France rurale ou péri-urbaine. Des femmes, des hommes, des vieux, des jeunes, mais qui ont tous en commun d'avoir été essorés longtemps, trop longtemps. Et qui se redressent. Ensemble, et par cela, ils retrouvent la fraternité à travers leur aspiration à une vie meilleure.


Du coup, même si le film est finalement un peu bancal, il a la valeur d'un témoignage social inestimable. Car on y voit et on y entend des personnages par ailleurs parfaitement invisibles, dans le champ médiatique, bien sur, mais aussi la plupart du temps dans le champ cinématographique. Ou alors, ils y sont caricaturés : on va se foutre de leur gueule, dans un film comique, ou ce seront des parfaits crétins, dans un film dramatique. Indéniablement, le mérite de Perret et de Ruffin est de les restituer au spectateur dans toute leur humanité, avec leur fragilité et leurs espoirs. A des lieux des stéréotypes que le mépris de classe ambiant de nos chères élites véhicule à qui mieux mieux à travers sa presse, ses journaux télévisés, sa caste politique mais aussi ses produits de consommation culturelle. Et on cherchera vainement les homophobes, les antisémites, les casseurs, pourtant pourfendus à qui mieux mieux par notre monarque si intelligent et si cultivé.


Un aspect intéressant du film est également qu'il démontre bien l'origine et enracinement territoriaux du mouvement, puisque la caméra ne s'aventure jamais en milieu urbain. L'urgence, comme je le disais plus haut : au jour où j'écris ces lignes, la plupart des campements installés sur les ronds-points ont été démantelés sur ordre des préfectures, soit mystérieusement incendiés pendant la nuit, incendies dont les coupables, je le crains, ne seront jamais retrouvés ni sanctionnés. Sans doute qu'on a jugé en haut lieu que c'était mauvais pour l'image de la France, et son attractivité auprès des investisseurs. Mais, du coup, le caractère testimonial du film n'en a que plus de valeur.


Car, comme il est difficile l'ignorer, le mouvement se poursuit et se poursuivra peut-être encore longtemps. Il s'est certes recentré sur les villes, occasionnant au passage quelques dégâts collatéraux sur des agences bancaires et immobilières, voire de prestigieux restaurants. Même si, à titre personnel et sur un plan purement esthétique, je préfère assez nettement les panneaux de bois qui tiennent désormais lieu de vitrines aux premières dans les centres-villes aux publicités racoleuses et criardes dont elles étaient ornées, allez je vais l'oser celle-là, dans.. l'ancien monde.


Tout ça, et même si Ruffin en fait parfois un peu trop, nous fait un documentaire profondément émouvant, humain. Désolant parce qu'il nous met sous le nez une misère qui semble inconcevable dans l'une des premières puissances économiques du monde. Mais, puisqu'on ne peut pas éternellement cacher la poussière sous le tapis, également chargé d'espoir. Une petite lueur, comme le dit l'une des protagoniste. Et derrière, on entrevoit le soleil...
https://www.youtube.com/watch?v=BqCL-2S9SQM

Marcus31
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Vu au cinéma en 2019

Créée

le 8 avr. 2019

Critique lue 1.2K fois

14 j'aime

5 commentaires

Marcus31

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

14
5

D'autres avis sur J’veux du soleil

J’veux du soleil
takeshi29
4

Gilet François vont chercher des voix

J'aurais donc mis plus de deux mois à noter ce film, refusant de le faire à chaud, sous le coup de l'énervement. Mais non, même avec le recul, ça ne passe pas, je continue à ne pas accepter ce qu'a...

le 18 juil. 2019

20 j'aime

7

J’veux du soleil
lhomme-grenouille
3

La ritournelle pré-enregistrée

« Moi, quand je pars pendant six jours comme ça, j’abandonne ma casquette de député. Je suis artiste moi. […] Ce qu’on vient apporter c’est de l’émotion. On vient apporter de la beauté. » C’est ce...

le 6 mai 2019

17 j'aime

6

J’veux du soleil
Marcus31
8

Soleil cherche futur

Le film est maladroit, bricolé en deux temps trois mouvements par François Ruffin et Gilles Perret. Dans l'urgence du moment. En décembre 2018, alors qu'éclatait la révolte dite des gilets jaunes,...

le 8 avr. 2019

14 j'aime

5

Du même critique

Papy fait de la résistance
Marcus31
10

Ach, ce robinet me résiste...che vais le mater

Ce qui frappe avant tout dans ce film, c'est l'extrême jubilation avec laquelle les acteurs semblent jouer leur rôle. Du coup, ils sont (presque) tous très bons et ils donnent véritablement...

le 2 sept. 2015

42 j'aime

5

Histoire de ta bêtise
Marcus31
10

A working class hero is something to be

Un pamphlet au vitriol contre une certaine bourgeoisie moderne, ouverte, progressiste, cultivée. Ou du moins qui se voit et s'affiche comme telle. On peut être d'accord ou non avec Bégaudeau, mais...

le 15 avr. 2019

32 j'aime

7

Madres paralelas
Marcus31
5

Qu'elle est loin, la Movida

Pedro Almodovar a 72 ans et il me semble qu'il soit désormais devenu une sorte de notable. Non pas qu'il ne l'ait pas mérité, ça reste un réalisateur immense, de par ses films des années 80 et du...

le 14 déc. 2021

25 j'aime