« Moi, quand je pars pendant six jours comme ça, j’abandonne ma casquette de député. Je suis artiste moi. […] Ce qu’on vient apporter c’est de l’émotion. On vient apporter de la beauté. »
C’est ce qu’avait déclaré François Ruffin, en compagnie de son camarade co-réalisateur Gilles Perrin, lors de son passage à « On n’est pas couché ».
Étonnamment c’est cette phrase qui m’a donné envie d’aller voir ce « J’veux du soleil ».
Oser parler d’approche d’artiste pour un film de Ruffin, je trouvais ça quand-même sacrément gonflé.
OK, « Merci patron » j’avais trouvé ça sympa, mais formellement parlant c’était vraiment chiche. Le film valait surtout pour sa farce – celle contre Bernard Arnault – mais aussi pour la fraîcheur qui se dégageait de cette attitude si iconoclaste de la part d’un journaliste ; celle de ce trublion de « Fakir » qu’était à l’époque François Ruffin.
Mais entre temps les choses ont bien changé.
Pas de farce pour ce deuxième film, mais plutôt un réquisitoire.
Un réquisitoire sur un sujet social brûlant de son temps : les Gilets jaunes.
Et un réquisitoire qui en plus n’est plus vraiment mené par le même Ruffin que celui de « Merci Patron ».
Depuis, le journaliste est devenu député pour le compte de la France insoumise.
Alors forcément, moi quand on me parle de « démarche d’artiste » pour un film qui semble déjà cocher à l’avance toutes les cases du banal spot de propagande électoraliste, ça me pousse déjà presque vers une forme d’exaspération.
Surtout que, pour le coup, les 76 minutes que comptent ce film ont bien confirmé ma première impression. Le sujet au fond ce ne sont pas les Gilets jaunes. Non, le sujet c’est bien Ruffin auprès des Gilets jaunes.
On se déplace d’un spot à un autre. On collecte des témoignages. On joue la carte de l’émotion et surtout on montre quel est le seul homme politique qui a su rester auprès de ces gens-là.
Ainsi, sans subtilité aucune, on nous montre le bon député Ruffin suivre l’allocution de Macron au milieu des siens, sur un rond-point, là où il se devait d’être, au milieu de ses troupes, avec eux, comme eux sont avec lui,.. Ou pour être plus exact : comme eux sont autour de lui.
On nous montre aussi comment ce même bon vieux député Ruffin refuse qu’on lui sorte la jolie vaisselle pour le repas : « Eh attends ! Tu crois que c’est nécessaire ? T’as vu ma bagnole ? »
Parce que oui, il est comme ça le bon député Ruffin.
C’est un homme simple. Proche du peuple.
Il est le seul qui peut les comprendre.
Et puis enfin, le bon député Ruffin est généreux.
Il sait mettre des étoiles dans les yeux des petites gens quand il les invite à se balader sur la plage ou bien à chanter dans un studio pour le compte de son film.
C’est tellement grossier que ça mériterait presque un zéro pointé…
Et pourtant, ce n’est pas une, ni deux mais trois étoiles que je lui attribue malgré tout à ce film. Certes, on reste en dessous de la moyenne (parce qu’il ne faut pas se foutre de nous non plus) mais malgré tout je dois tout de même lui reconnaître deux qualités à ce film.
La première c’est effectivement celle d’avoir été capable de porter une certaine parole sur la place publique. J’ai beau ne pas être adepte du cinéma-sujet, je dois bien reconnaître que dans le contexte très particulier de ce film et de notre période, ce « J’veux du soleil » enrichit le débat autour de la question des Gilets jaunes. Il porte une réalité à l’écran ; une réalité qui méritait d’être vue autrement qu’au travers d’un banal reportage condescendant de France 2.
Quant à la seconde qualité de ce film, elle relève justement de ce qu’elle propose en termes de forme. Alors que dans notre pays on adore faire des films « sociaux » qui cherchent à singer la réalité tout en s’en éloignant – avec des bourgeois parisiens qui viennent écrire, jouer et tourner des simulacres totalement biaisés – Ruffin et Perrin, eux, ont au moins le mérite de remettre certaines choses d’équerre. OK ce n’est pas d’eux dont il faudra attendre des images chiadées ou des montages subtils, mais au moins ils remettent un petit peu de social dans le social. Pas de Vincent Lindon ou de Coline Masiero pour grimer les Gilets jaunes. On part du réel. Et s’il reste toujours l’artifice de la mise en forme, au moins on n’est pas dans le 100% fake.
Quand on y réfléchit bien, ça devrait ressembler à ça ce qu’on appelle chez nous du cinéma social. Ça devrait ressembler à ça et à rien d’autre. De l’artifice certes, mais de l’artifice construit à partir d’un réel et non à partir d’un fantasme.
Au moins cela rendrait la démarche de ce type de cinéma plus limpide et – sûrement – plus efficace.
Ruffin et Perrin le démontrent d’ailleurs bien dans ce « J’veux du soleil » : en sélectionnant les moments, et même en les générant parfois, ils parviennent à dégager des atmosphères et des états d’esprit assez variés qui vont dans le sens de leur démonstration.
Au fond, « Merci Patron » fonctionnait déjà comme ça. Ce film était construit comme un artifice géant – un piège – qui avait pour but de saisir une part spécifique de la réalité (celle d’Arnault) afin de la livrer ensuite au spectateur.
Et franchement, peut-être aurais-je pu aller au-delà des trois seules étoiles pour ce « J’veux du soleil » si seulement ce film avait su fonctionner selon le même modèle que celui de son grand frère.
Or, là, le souci, c’est que les artifices ne sont pas ceux qu’il aurait fallu utiliser.
Trop souvent Ruffin apparait comme celui qui rentre dans le cadre parce que la réalité qu’il filme ne l’arrange pas. Il vient mettre dans la bouche des Gilets jaunes les phrases qu’il veut leur entendre dire. Il veut amorcer chez eux une réflexion politique qu’ils n’ont pas l’air d’avoir.
Le cas du RIC est assez édifiant. Ruffin lance le sujet à quelques rares moments, mais les seules réponses qu’on lui retourne sont purement émotionnelles ; jamais construites. Il ne peut rien en faire, Il passe donc à autre chose.
Pire, il donne même l’impression de réaménager certains moments tellement profondément qu’on en vient à se demander ce qu’il reste de spontané de ces séquences.
Je pense notamment à la séance finale où il invite son dernier témoin sur la plage. Pourquoi y vont-ils ? On n’en sait rien. La seule chose qu’amène cette scène c’est une marche au bord de l’eau, avec Ruffin qui demande à son témoin d’entonner cette chanson : « Qu’est-ce qu’elle dit au fait cette chanson ? J’veux du soleil c’est ça ? » Et là, son témoin se met à la chanter par cœur, amenant progressivement le climax et le générique de fin. On ne me fera pas croire que ce moment s’est généré spontanément. Forcément ils en ont parlé avant. Un truc du genre : « Tu comprends, mon précédent film il portait déjà le nom d’une chanson populo. Alors j’aimerais bien faire le lien avec "J’veux du soleil" parce que ça renvoie au jaune des gilets jaunes. C’est d’ailleurs pour ça qu’on va à la plage. Il n’y a pas de Gilets jaunes là-bas. Moi je vais juste y chercher mon plan final avec du soleil. Alors si en plus tu étais là et que tu chantais cette chanson ce serait vraiment super. – Mais je la connais pas trop cette chanson moi – T’inquiète c’est pas grave, j’ai justement une copie du script pour toi avec toutes les paroles. Il faut que ça dure suffisamment longtemps pour que je puisse amener tout doucement l’instru, tu comprends ? Mais faut que ça reste naturel hein, sinon ça fonctionnera forcément moins bien ! »
Le souci de toute cette démarche c’est que ça a abouti à un film qui finalement n’arrive pas à dire grand-chose de politique mais qui, en plus, semble souvent falsifié, si bien qu’au moment de faire le bilan, alors que François Ruffin demandait justement à ce qu’on ne le juge que sur sa facette d’artiste, moi j’aurais tendance à lui répondre qu’une telle exigence se révélait au final bien peu pertinente. Car au fond, entre Ruffin l’artiste et Ruffin le député, quelle différence ?
Beaucoup d’émotions.
Beaucoup d’effets de manche.
Mais en définitive peu de propositions.
Comme quoi, l’artiste n’est qu’une facette parmi tant d’autres d’un même homme, et pas forcément si exceptionnelle que cela. Pour le coup, le soleil ne viendra pas, me concernant, des deux compères Ruffin et Perrin…