Je ne pense pas que ce film restera au panthéon du cinéma hexagonal, mais il a son importance dans un contexte très immédiat.
Quand France 2 a choisi le thème de l'immigration comme sujet central pour le premier débat des européennes, quand Barbier se demande si Macron a eu raison ou non de faire la leçon à une retraitée qui manifestait pacifiquement à Nice et a été gravement blessée par une charge de CRS, quand on voit que la plupart des plateaux télés, qui remplacent le journalisme sur le terrain, se posent en chiens de garde, et qu'un certain nombre de personnes âgées, d'ailleurs, manquent de recul par rapport à la soupe vichyssoise qu'on leur sert. Quand on voit Marine Le Pen reçue de manière très bienveillante et sourire d'avoir retrouvé son rôle de premier épouvantail (mais pas tant que ça, on la chouchoute au cas où elle arriverait au pouvoir), quand on voit les trésors d'inventivité trouvés pour mettre les partis d'opposition en cause, et les mensonges éhontées, dévoilés au grand jour, n'entraîner aucune sanction au sein de l'administration de l'Elysée, hé bien un film comme celui-ci, qui va sur le terrain donner la parole aux gens qui sont à bout, et s'efforce, par un traitement bienveillant dont ils n'auraient jamais bénéficié dans les médias du pouvoir, de leur rendre une fierté tout en leur permettant de formuler leurs griefs, oui, ça fait chaud au coeur.
Ce film est une bouffée d'air frais dans une atmosphère médiatique de plus en plus irrespirable.
Alors le dispositif a ses défauts. C'est juste Ruffin qui conduit, qui interroge des gens, blague un peu avec eux, avec de temps en temps des montages montrant Macron de manière ridicule et coupé de la réalité (ce qui n'est pas bien difficile). Et si vous avez suivi le mouvement sur twitter depuis le début, vous ne verrez pas beaucoup d'images nouvelles, en dehors des rencontres que fait Ruffin. Et peut-être qu'il est un peu trop présent (la caméra s'attarde sur son air grave quand il écoute le énième damné de la terre parler de son frigo vide). D'ailleurs Ruffin n'avait que 6 jours, il met un remerciement en générique à ses camarades députés FI "pour leur clémence". Ils ont dû le remplacer et il a dû les surcharger de boulot, j'imagine. Et peut-être même que Ruffin choisit un peu, sculpte dans les rushes l'image qu'il se fait du peuple. Des mecs dont le froid rend les visages rougeaux, une handicapée au regard intense, un couple en galère... On a souvent des destins de gens qui donnent l'impression de faire un saut dans le vide, de se tromper, d'errer, image romantique très ruffinienne. Et évidemment, on est dans l'anecdote ; se pose toujours la question de la représentativité de ceux qui parle (problème qui s'est posé dès le début avec ce mouvement hors-norme).
Donc oui, il a des défauts ce film. Et on le vend comme quelque chose qui file la banane, alors qu'en vrai, vous avez souvent la boule au ventre, à voir ces mots hésitants, ces intérieurs dépouillés. Mais vraiment, quand on en sort, on regarde les gens autour de soi, on a envie de se montrer fraternel.
Et vu ceux qu'il y a en face, il y en a tellement besoin.
Vu aux Montreurs d'image à Agen, avec un court "Du soleil en 47" en introduction. Dans la salle, un peu tous les âges, mais des gens comme moi, de la petite bourgeoisie, ayant envie de comprendre ce mouvement.
Ha et la ressemblance de Ruffin avec Luke Wilson est toujours aussi frappante. ^^