An de grâce 1573, la guerre fait rage entre les Takeda et les Tokugawa qui s’affrontent pour prendre la place du shogunat. Shingen, le chef du clan Takeda est mortellement blessé par un tireur embusqué au cours du siège d’une forteresse. Pressentant sa mort poindre, il fait jurer à ses feudataires de dissimuler son décès à ses guerriers ainsi qu’à l’ennemi juré durant 3 ans, et ce afin de maintenir l’unité et d’éviter que le clan ne soit entièrement exterminé. Nobukado son frère presque jumeau va épargner la vie d’un misérable voleur pour sa ressemblance stupéfiante avec le défunt. Ce dernier se verra assigner de la mission de remplacer Shingen à la tête du pouvoir dont il devra assurer la stabilité par sa seule présence symbolique. Tant que la montagne demeurera retranché dans son territoire, rien n’y personne ne s’opposera aux règne des Takeda. Pourtant les Nobunaga ainsi que les Tokugawa vont envoyer des émissaires espionner leurs rivaux qu’ils soupçonnent à juste titre d’employer un sosie. Le récit va alors s’intéresser aux moyens déployés par les vassaux pour former le « Kagemusha » à son nouveau rôle tout en camouflant la vérité par l’artificialité des rites et des cérémonies officielles.


Ce doppelgänger sans réelle identité si ce n’est celle brièvement esquissé lors du prologue va devoir faire oublier sa personnalité peu commode pour resplendir dans l’ombre du guerrier et ainsi sauver les apparences. L’aliénation du personnage devenu acteur d’une vaste supercherie organisée mettra néanmoins du temps à s’opérer, d’abord parce que sa nature de chapardeur et son allure de moins que rien reviendront ponctuellement discréditer son nouveau statut, que ce soit auprès de ses maîtresses qui le prennent presque pour un sobriquet, ou bien son petit fils qui ne craint plus son caractère autrefois tempétueux. Les subordonnés vont devoir rusés en éliminant les mauvais témoins et en excusant le comportement parfois gênant du remplaçant qu’ils prétendent atteint d’une maladie depuis son retour de campagne victorieux. Une bonne raison pour lui éviter de se retrouver à nue au sens propre comme au figuré auprès de son entourage non dans la confidence. Son attitude moins noble et hautaine mais plus attachante et humaine vont parvenir à faire oublier son prédécesseur dont il parviendra également à singer le hiératisme, notamment lorsque la guerre va de nouveau éclater.


Mais c’est justement en cherchant à trop lui ressembler que le sosie de Shingen va faire tomber le masque en s’effondrant lamentablement de sa monture, un entier qui ne peut être dompter que par son véritable maître. Le bougre sera parvenu à tromper les gens mais pas le cheval, et sa chute va précipiter la déchéance de tout le clan dès lors que Katsuyori le fils légitime reprendra son dût, car ce qui faisait la force de la Montagne, c’était son aplomb, sa position imperturbable face au danger, capable de fédérer ses guerriers face à des armées plus nombreuses et mieux équipées. C’est en cédant au désir de conquête que l’institution va s’écrouler devant le visage décomposé de cet imposteur qui sera incapable de retrouver sa véritable personnalité après son bannissement. Une séquence onirique relève cette opposition paradoxale entre Shingen en armure d’apparat et son remplaçant en guenilles qui tente de fuir ses responsabilités tout en revenant inlassablement vers le défunt. Les deux esprits finiront par ne faire qu’un quand toute l’armée sera englouti sous le feu de la mitraille ennemi.


La politique d’expansion de Katsuyori fait clairement écho à celle du Japon durant la seconde guerre mondiale. Cette frénésie guerrière sera largement balayé par le vent du progrès, de la même façon que les Etats-Unis mettront les Japonais à terre en l’espace d’un instant. Autrement dit les Takeda vont amener des lances et des épées dans un duel au fusil. Le péché d’orgueil sera le mortier d’un massacre sans aucune sommation. Les vagues vont déferler hors-champ face à un mur infranchissable tout ça à cause de l’égo d’un seul homme incapable d’entendre raison et de respecter les dernières volontés d’un mourant. Au-delà de sa dimension épique, Akira Kurosawa livre un constat accablant sur la folie des hommes, quand la vanité peut faire vaciller une montagne.


Tu veux ta dose de frissons et d’adrénaline pour Halloween ? Rends-toi sur l’Écran Barge où tu trouveras des critiques de films réellement horrifiques, situés à mi-chemin entre le fantasme et le cauchemar.

Le-Roy-du-Bis
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le 10 mai 2023

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