Kaili Blues s'offre enfin au spectateur français après plusieurs mois de teasing auteurisant. Petite sensation au festival de Locarno où son réalisateur Bi Gan, dont c'est le premier long-métrage, s'est vu offrir un prix, le film a reçu les louanges quasi-unanimes de la critique internationale.
On a été jusqu'à citer les grands maîtres du cinéma asiatique contemporain, de Hou Hsiao Hsien à Jia Zhang Khe en passant par Apichatpong Weerasethakul. La presse était, semble-t-il, réjouie de la radicalité du projet, entre prouesse technique (un plan séquence de 40 minutes conclut l'ensemble) et vision onirique et neurasthénique de la Chine moderne.
Pourtant, force est de constater que si l'audace filmique est bel et bien là, Bi Gan manque encore sérieusement de maturité artistique. Son film est, en effet, extrêmement référencé. La première partie lorgne clairement du côté de Tsai Ming Liang, tant dans sa mise en scène statique d'espaces clos (il y a beaucoup de séquences en intérieur), que dans sa tonalité froide et flegmatique, pour ne pas dire amorphe. Mais, c'est oublier que le cinéma de Tsai est un cinéma du silence, où la seule incarnation des images suffit à compenser la léthargie des personnages.
Dans Kaili Blues, c'est tout le contraire. Les personnages, sous-écrits, parlent énormément, pour ne pas dire grand-chose. Il y a quelque chose d'hypocrite, ou de contradictoire, chez Bi Gan, dans cette manière de rechercher l'épure, de cultiver l'hermétisme, tout en bombardant son métrage d'artifices grossiers. Inutilement décousu, bavard à souhait, mêlant aléatoirement les temporalités, le film a un potentiel en or entre les mains qu'il se refuse d'exploiter, préférant la pose au lyrisme. Et c'est un problème récurrent dans le cinéma d'auteur contemporain, celui de faire des films éteints, mornes, sans aucune vie, de Yorgos Lanthimos à Bi Gan, donc.
Et bien sûr arrive le fameux plan-séquence de clôture, sorte de pavé formaliste jeté dans la mare. Reconnaissons tout de même que le recours à cette technique centenaire donne un peu plus de souffle à ce film asmathique, cf deux passages routiers sympathiques, en mobylette ou en pick-up, qui rappelleraient presque certaines séquences de Goodbye South Goodbye (Hou Hsiao Hsien).
Mais on décèle surtout un autre stigmate, récurrent ces dernières années, d'utiliser le plan-séquence pour épater la galerie. La caméra qui s'annonce, ça peut être une belle idée de cinéma, dans l'Arche Russe de Sokourov par exemple, où le plan-séquence est un véritable point de concours entre les époques. Mais quand elle ne sert qu'un dispositif tape-à-l’œil, il vaut mieux s'en passer. Qu'on se souvienne, à ce titre, du désastreux Victoria, du presque aussi désastreux Birdman, deux films académiques résumés à une banale prouesse technique. Le plan-séquence de Kaili Blues ne brille ni par sa beauté, ni par son intérêt cinématographique et rapproche davantage le film de ce qu'il est réellement, au-delà de toutes ses fatuités formelles : un exercice de style vaniteux.
Et pourtant, on se dit que c'est bien dommage, que Bi Gan a du talent, qu'à défaut de vie, il réussit à insuffler à son film une certaine atmosphère, lourdement appuyée et désincarnée certes, mais tout de même. Allez, Bi, un peu moins de puérilité formaliste, et tu nous feras un bon film la prochaine fois.