Bi Gan begins sous les meilleurs hospices, des latitudes subtropicales où le temps n’a plus trait. Apichatping-pong sensoriel (pour de vrai), ce premier grand Kaili Blues se joue de sa descendance filée des maitres Tarkovski ou Hsiao-Hsien, baignant subrepticement dans les lagunes énigmatiques d’un Lynch extrême-oriental. On arrête là les comparaisons : Pique-nique au bord de la route, de sa VO chinoise, est son propre maître.
D’une bravoure et d’une liberté bienvenues, et ô combien roboratives, Kaili Blues se décompose en variations exquises, sibyllines - y esquisse une ou des histoires : un neveu vendu, un passé trouble, une vielle femme, un voyage. Et puis : le film commence réellement, et se perd, et se gagne. Pas de pourquoi. Nous voici sous l’emprise d’un songe, dans Dangmai la fantôme, ville misérable et magnifique à flanc de montagnes. La mémoire et l’imagination s’entremêlent, les possibles se superposent : non pas l’un et l’autre, mais l’un dans l’autre. Jusqu’à cet hallucinant plan-séquence de 41 minutes, techniquement invraisemblable, où la caméra va, vit et vient ici et là, virevoltant littéralement de discussions en digressions, dans un vertige sensitif où les repères s’estompent pour finalement se disperser dans un flou élémentaire et subtil.
« L'esprit passé est inatteignable, l'esprit présent est inatteignable et l'esprit futur est inatteignable »
C’est là la genèse du film
Sans exogène.
Une voix intérieure parle, murmure, s’achève : « ça ressemble à un rêve ».
Concrètement incompréhensible
Ou incompréhensiblement concret ?
Alors
Tout est clair
Et tout est diffus :
C'est un rêve.
Et comme tous les rêves il est irracontable et on aimerait qu'il puisse durer encore.