(Ou La vie est un long travelling tranquille / De la matière des rêves)
Je ne compte pas trop m'attarder sur le fameux plan séquence; d'autres que moi s'y sont étendus de leurs râles haletants, l'écume au bord des lèvres, de plaisir autant que de rage. Du reste, j'arrive après la bataille, charognard tranquille. Je dirais que mise à part la prouesse technique évidente, sa fluidité contraste superbement avec l'aspect fragmentaire du reste, opposant à l'aridité des images spontanées un flottement brumeux aux allures d'une rêveuse flânerie.
Les plans se succèdent, décousus. On peine à trouver le sens, le liant.
Le fait est que chaque élément semble avoir été fabriqué en qu'oeuvre à part entière. L'image s'offre d'elle même pour elle même; chaque plan, d'une composition rigoureuse, s'affranchit presque exclusivement de l'ensemble. Images, bruits, musique, voix, mouvements, acteurs sont autant de matière qui s'excluent tout en débordant les uns sur les autres. Ce qui fait le lien de ces éléments, c'est leur différence; des corps étrangers qui se contaminent, formant un agglomérat autours d'éléments récurrents: lieux, personnages, thématiques, (échos de) discussions/pensées...
En résulte un rythme étrange, fracturé, comme dans un mouvement de lutte pour sortir de l'oubli. On pense alors à ces visions de rêves, le matin, que l'on cherche à retrouver en vain. Alors le film plonge entièrement dans ce mouvement flottant et onirique continu: le fameux plan séquence. Comme si le film, finalement, se calquait sur un système de cycles, ayant chacun leur rythme et traitement propre.
Je me souviens notamment de ce plan où l'on découvre d'une chambre la vision projetée (et inversée) d'un train, sans que cela n'ait d'incidence sur les personnages. Et l'écho, enfin, du plan final, qui est peut être un des plus beaux vers qu'il m'ait été donné de voir.
Kaili Blues surgit, s'enlise, apparaît et disparaît, le temps d'un instant qui cours sur place, d'un train qui passe, inlassablement.