Avec ce film, Inox jette sous nos yeux l'image de notre génération.
Ce n'est pas un documentaire sur l'Everest, c'est un documentaire sur Inox. Il ne se filme pas parce qu'il gravit l'Everest : il gravit l'Everest parce qu'il se filme. C'est l'occasion de montrer comment il s'entraîne, doute, se dépasse. Il est devenu le protagoniste, à l'image des héros de son enfance. Ce documentaire ressemble d'ailleurs beaucoup à un shônen.
Inox est très jeune, et il est le pur produit de notre génération. Depuis 15 ans, nous affichons nos plus beaux clichés sur Instagram : nos voyages de rêve, notre esthétique droite et saturée. Depuis 5 ans, nous nous filmons spontanément. C'est une course à qui montre le plus et le mieux. Il faut se démarquer. Être extraordinaires. Ne sommes nous pas des protagonistes ?
C'est notre univers. Notre monde. Notre jeunesse. Je ne la cautionne pas, mais elle est là. Inox est l'enfant du siècle. Il a hérité de cet égocentrisme, de cette obsession pour la mise en scène de soi. Certains disent que l'Everest est un caprice de millionnaires, mais beaucoup iraient le faire s'ils étaient millionnaires.
Le documentaire ne me procure aucune émotion. Peut-être parce que je passe plusieurs mois chaque année à sillonner les montagnes. Jamais en deux heures, je n'éprouve le même sentiment que lorsque je m'y trouve. Ce que j'éprouve, c'est Inox. La montagne vient après lui. Elle lui sert de défi, d'adversaire. J'aime trop la montagne pour être sensible à Inox.
Je comprends qu'Inox puisse être apprécié. Il est simple et semble sympathique. Je comprends qu'il puisse inspirer : il s'est dépassé physiquement et mentalement sous une belle photographie. Mais Inox est encore très jeune, et il ne dépasse jamais ce qu'on attend de lui. Il reste encore enfermé dans cette bulle générationnelle sans la voir ni la remettre en question.
C'est un documentaire immature, en quelque sorte. Mais notre génération est jeune, encore. Laissons lui le temps. Ne l'injurions pas trop. Je garde espoir que nous finirons par braquer nos téléphones sur un autre visage que le nôtre. Nous retrouverons peut-être les terribles silences de Herzog qui me font encore frissonner comme le vent sous la tente