Bon, je m'attaque sans doute au sujet le plus épineux de l'année ciné 2024. Le public étant en effet complètement fracturé entre deux extrêmes, soit une fascination absolue (plutôt flippante), soit un rejet profond et viscéral (plutôt excessif). Et difficile de trouver de la nuance dans ces débats.

J'avoue que j'étais particulièrement sceptique face au projet. D'autant plus après toute l'introduction du long-métrage, clairement ancrée dans un univers YouTube et non un véritable documentaire cinéma. Mais force est de constater que la sauce prend petit à petit, et qu'un vrai souffle épique finit par englober l'ensemble. Même s'il paraît évident que certaines séquences sont romancées, les animations et le montage sont canons, et surtout, les images sont splendides. Mine de rien, le travail sur les plans au drone et le filmage des sommets rend vraiment honneur à l'exploit sportif et humain, avec une sensation de gigantisme assez dingue. Puis étant un gros amateur de randos, j'avoue avoir été captivé par cette déclaration d'amour aux paysages et à la nature.

Malgré tout, le tempo YouTube se fait énormément ressentir, avec un montage très rapide, et donc très peu de temps laissé à la contemplation. C'est sérieusement regrettable, quand on voit encore une fois la qualité des nombreuses séquences en plans larges, parvenant réellement à insuffler un dépaysement et une invitation au voyage assez époustouflant. Le tout couplé à une montée en tension vraiment réussie.

Mais histoire de mettre les pieds dans le plat, difficile cependant de ne pas aborder le propos de fond de l'œuvre, qui est en effet particulièrement problématique. Car glorifier (et donc banaliser) un tel désastre, autant humain qu'écologique, est quelque chose de très (très) discutable. On se questionne d'ailleurs plus d'une fois sur les réelles motivations de ce projet ; véritable volonté de reconnexion avec la nature, ou bête défi égotrip de petit bourgeois. Chacun aura son opinion sur le sujet. Personnellement, j'avoue que le climax final m'a un peu refroidi, dépeignant un être humain parlant très (trop) factuellement à sa caméra, au lieu de contempler de manière pure et simple un paysage aussi majestueux.

Difficile également de se projeter personnellement dans cette aventure, tant la personne qui la mène est déconnectée de notre réalité. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, Inox a travaillé pour, et mérite son succès. Mais tout ce projet n'est pas juste une question de lâcher son téléphone. Tout ce projet n'est qu'une simple utopie pour le commun des mortels, nécessitant des ressources de temps mais surtout d'argent complètement démesurées. Du coup oui, l'aspect moralisateur de l'œuvre paraît franchement maladroit, d'autant plus quand il est autant matraqué.

Enfin, l'aspect vlog prend trop le dessus à beaucoup de reprises, et l'ensemble aurait vraiment gagné à être plus développé dans son écriture. On a trop peu, si ce n'est quasiment aucune séquence de prise de recul ou de réflexions autour des thématiques brassées par ce voyage. Peut-être que j'intellectualise trop une simple vidéo YouTube, mais le projet s'est également vendu comme un documentaire diffusé au cinéma, donc il doit être jugé comme tel.

L'ensemble est bien trop consensuel, manichéen, et la transcription de cette aventure manque cruellement de contre-arguments. Ce n'est vraisemblablement pas l'intention ni le propos, mais c'est presque irresponsable de ne pas bien plus s'attarder sur le rôle essentiel des sherpas, de la question du petit délire bourgeois, mais surtout du désastre écologique que cela entraîne.

Un projet donc très maladroit dans son fond, mais sacrément ambitieux dans sa forme. Et s'il faut bien admettre une chose, c'est que ce propos franchement malavisé ne m'a pas empêché d'apprécier cette représentation du dépassement de soi, portée par des visuels assez dingues. Ce n'est certes pas un documentaire cinéma, mais c'est assurément la plus grande production de l'histoire du YouTube francophone. Si ce n'est du YouTube mondial.


Mon compte de critiques ciné sur Instagram : https://www.instagram.com/le_videoclub_/

Le-Videoclub
6
Écrit par

Créée

le 15 sept. 2024

Critique lue 62 fois

1 j'aime

Le-Videoclub

Écrit par

Critique lue 62 fois

1

D'autres avis sur Kaizen - Un an pour gravir l'Everest

Kaizen - Un an pour gravir l'Everest
Eussoudore
3

Le grand film de notre génération

Avec ce film, Inox jette sous nos yeux l'image de notre génération. Ce n'est pas un documentaire sur l'Everest, c'est un documentaire sur Inox. Il ne se filme pas parce qu'il gravit l'Everest : il...

le 15 sept. 2024

120 j'aime

8

Kaizen - Un an pour gravir l'Everest
Zebre39
6

Critique de Kaizen - Un an pour gravir l'Everest par Zebre39

Je ne connaissais pas Inoxtag, ce sont mes deux fils qui m'ont convaincu d'aller avec eux au cinéma voir ce film documentaire. Je suis donc arrivé vierge devant ce film et cela m'a permis d'être...

le 14 sept. 2024

48 j'aime

4

Kaizen - Un an pour gravir l'Everest
BLD
5

Kaizen ou le paradoxe du youtube français moderne

Un film qui pense avoir les meilleurs intentions et la volonté de s'elever et d'elever son public plus haut qu'inoxtag sur l'everest alors qu'il ne fait que renforcer leurs dépendances aux RS. Tout...

le 14 sept. 2024

27 j'aime

6

Du même critique

Le Roman de Jim
Le-Videoclub
3

Laetitia Dosch a du sang sur les mains

Dans la liste des incompréhensions totales de l'année, on pourra aisément insérer le nouveau long-métrage des frères Larrieu. Unanimement acclamé par la critique, Le Roman de Jim est au mieux un...

le 25 août 2024

31 j'aime

7

The Brutalist
Le-Videoclub
9

Monument aux Morts

Ouverture1947. Une silhouette est filmée de dos, errant dans une foule immense, plongée dans une obscurité étouffante. L’homme parvient enfin à s’en extirper, et la lumière du jour finit par révéler...

le 13 févr. 2025

12 j'aime

2

La Chambre d'à côté
Le-Videoclub
7

De la magie, et des ratés

Première séance ciné de 2025, pour l'une de mes plus grosses attentes de l'année. Le dernier long-métrage d'Almodóvar ayant effectivement plutôt fait sensation lors de son passage en festival, et...

le 8 janv. 2025

10 j'aime