Je passe sur la mécanique de sortie multiple et hors-la-loi dont a fait l’objet ce film, sur la question de la chronologie des médias notamment : certains papiers/podcasts en parlent très bien. Je passe aussi sur sa réussite colossale et ses millions de vues. Je passe aussi sur les placements produits.
Je reviens uniquement sur le film et vais tenter rapidement de dire pourquoi il m’est aussi intriguant qu’irregardable, d’autant plus que ça dure deux heures et demie cette plaisanterie.
Tout d’abord il y a ce fond rance, bourgeois, qui consiste pour l’intéressé (le youtubeur Inoxtag, de son vrai nom Inès Benazouz) à grimper l’Everest pour véhiculer de grands messages de courage, de motivation, de dépassement de soi, cette obsession de faire quelque chose de grand en espérant qu’il sera un autre homme après blablabla.
Je savais pas combien ça pouvait coûter de faire l’Everest. J’ai su. Eh bien c’est un tarif à minimum cinq chiffres. Donc bon, même en faisant le pari de « profiter de la vie » je crois pas que la majeure partie des gens puisse tenter cette aventure-là. Mais passons.
Inoxtag assène régulièrement ses petites leçons de morale sur l’éducation (le type se fait chourer ses bouteilles d’oxygène à 7000m, c’est balo) l’écologie (la pollution du site revient beaucoup) et même – c’est un comble – sur les méfaits des écrans. Mec, franchement ! Le gars est vidéaste influenceur. Disons que c’est assez problématique.
Cela étant, il a pour lui une certaine humilité (il ne cesse de mettre en avant les sherpas ou les « vrais aventuriers » qui font ça sans oxygène) et un capital sympathie, candide (Il avouera tranquilou s’être trompé de photo pour son teaser, insérant une photo de l’Ama Dablam et non de l’Everest) qui compensent l’aspect de petit con père-la-morale tout juste majeur. Il a un petit côté humoriste improvisé, ayant rien à envier à la moitié du casting de LOL : Je parie sur sa présence dans l’une des prochaines saisons.
Ensuite et c’est un vrai problème pour moi : formellement c’est épouvantable. Visuellement y a de quoi s’arracher les cheveux et les yeux avec ce montage cocaïné, ces rafales d’images associées à la va comme je te pousse dans une imagerie publicitaire immonde. Le tout accompagné d’une soupe musicale imbuvable et permanente. À côté, un épisode de Koh Lanta c’est du Bela Tarr.
En tout cas je ne connaissais pas ce type, Inoxtag. Mais mon fils, oui. Apparemment le gars est super connu pour qui a ouvert YouTube pour mater des vidéos sur des jeux vidéo type Minecraft ou Fortnite. Le type est exactement l’idée que je me faisais d’un youtubeur en 2024, avec sa frénésie et ses anecdotes sans intérêt.
Voilà, j’attendais pas non plus du Werner Herzog, dans le fond comme dans la forme, mais simplement quelque chose d’un peu moins hideux, pour mes yeux et mes oreilles, quelque chose qui ressemble pas à un spot Nike ou une bande annonce allongée, quelque chose d’un peu travaillé, voire une version documentaire de L’ascension, le film avec Ahmed Sylla, ça m’allait bien. Ne reste qu’un gros kouglof en forme de gigantesque publicité décathlon, pour des tentes et softshells. C’est vraiment le film que cette génération mérite, un peu comme Athena, de Romain Gavras.