Turkish Delight, précédent film de Paul Verhoeven, ayant fortement ébranlé l'industrie cinématographique néerlandaise du début des années 1970, offre la possibilité au cinéaste de bénéficier de près d'un million de dollars pour réaliser Katie Tippel. S'inspirant des mémoires plus ou moins autobiographiques de Cornelia Doff, qui se fit connaître comme autrice sous le prénom de Neel, le scénariste Gerard Soeteman adapte essentiellement Jours De Famine Et De Détresse, premier ouvrage de la romancière qui fut édité en 1911. Si le nom original de l'héroïne est Keetje Oldema, Soeteman remplace le nom de famille par celui de Tippel pour l'intitulation de son script, mot argotique hollandais pouvant être littéralement traduit par "tapineuse".
Nous sommes à Amsterdam à la fin du XIXe siècle. Née au sein d'une fratrie extrêmement pauvre, la jeune Katie se voit contrainte et forcée à se prostituer pour nourrir sa famille. De par sa beauté physique, mais également de par son intelligence, elle séduit peu à peu le milieu bohème et bourgeois de la ville en posant comme modèle tout en participant activement à la montée du socialisme ambiant...
Aux yeux de Verhoeven, le sujet politique doit impérativement se refléter à travers le regard et les mésaventures de la jeune Katie. À peine âgée de 12 ans dans le roman original, Soeteman la vieillit de quelques années dans son script et propose finalement un projet de plus de 500 pages qui séduit le cinéaste mais effraie le producteur Rob Houwer qui réduit considérablement le budget. Face à cette déconvenue, Verhoeven doit reléguer le message politique à l'arrière-plan et demande à son scénariste de centrer l'histoire sur l'aspect féministe. Un mal pour un bien qui offre un souffle d'émancipation féminine bienvenu à un long-métrage empreint de passion pour son sujet et son personnage principal sublimement incarné par Monique van de Ven.
En effet, le réalisme cru de la misère noire dans laquelle vit Katie et les agressions sexuelles qu'elle subit reste une expérience suffocante de visionnage face à l'implication d'un Verhoeven plus qu'habité par sa volonté à immortaliser l'innocence violée grâce à de subtils symboles où se reflète toute l'horreur humaine. Le thème de la mécanique des corps que le cinéaste aborde dans la plupart de ses œuvres se voit ainsi transcendé afin de survivre dans un monde corrompu et pervers où le respect humain n'est qu'une simple façade et l'expression d'une forme de courtoisie hypocrite. En ce sens, Katie Tippel reste une analyse édifiante de l'humanité doublée d'un excellent film.