Dans l'histoire et pas au dessus
Cela commence sur un chauffagiste. Il est malmené, enlevé, emprisonné. Ce personnage reviendra à deux repises dans le film, au début de la seconde partie et à la fin où une fois encore il sera maltraitré. Il est à l'image de la société soviétique : il aura été enfermé toute sa vie.
Khroustaliov, ma voiture !, film démesuré par sa singularité, sa compléxité, son refus de toute construction narrative traditionnelle, montre l'implosion de la société soviétique au moment de la mort de Staline, qui s'écroule, rongée de l'intérieur, pour laisser place à la désolation et au chaos. Ce qui détruit la structure provient de son centre le plus intime, en l'occurence Staline. Comme tout dictateur, il ne supportait pas la diversité des points de vues. Il n'a eu de cesse d'imposer un sens unique aux choses, à l'histoire, mais lorsque son pouvoir s'effondre, le chaos ressurgit. C'est parce que Staline, et même plus, l'intérieur de Staline (son ventre) se désagrège que le désordre se répand dans le pays. Toutefois son état déplorable nous est révélé qu'à la fin. C'est plutot l'aspect chaotique du monde et justement le fait que l'on s'y retrouve plongé sans savoir exactement ce qui se passe, qui est mis en évidence dans le film. On est étouffé.
Il y a un refus du montage dans le film. Ainsi dans chacun des longs plans-séquences, règne un foisonnement confus et sauvage. L'accumulation de détails hétérogènes, visuels et sonores, recouvrent l'action principale jusqu'à la faire disparaitre. Aucun mot dordre n'organise les trajectoires des personnages, si bien qu'ils ne cessent de se rentrer dedans, de se croiser, de s'affronter sans que cela leur apporte rien. C'est évident dans l'appartement communautaire, mais également dehors, où l'on assiste à plusieurs accidents de la route.
De ce chaos en clair-obscur, surgissent des scènes atroces, comme le viol du général, des personnages hystériques ou ayant sombré dans la folie, des monstres, qui replongent aussitôt dans le néant et dans l'oubli, des moments de désespoir, comme lorsque le fils prie Dieu de l'aider à accpeter le retour de son père plus mort que vif. Les rapports entre ces personnages défigurés ne sont que menaces, trahisons, abandons, dénonciations, mensonges.
Au final c'est un film trés noir certes, mais pas totalement pessimiste. Il offre quelques moments purement poétiques, parfois même comiques. Il montre aussi des personnages qui souffrent mais qui luttent pour vivre, et même pour donner la vie (la grosse infirmière vierge), preuve qu'ils s'aiment assez. La vison de Guerman est contrasté, comme les magnifiques images en noir et blanc du film. Le film se veut à la démesure de la vie, de sa diversité infinie.
Rien n'est jamais tout blanc ou tout noir, de la puissance peut découler le chaos, comme du chaos peut renaitre l'espoir.