Pour la première fois depuis ses débuts, Kitano quitte son style décalé entre violence et poésie pour un traitement plus sérieux, et développe un thème déjà traité en filigrane dans ses précédents films : la jeunesse, ou plus précisément la difficulté pour les jeunes à s'intégrer dans la société contemporaine japonaise.


Nous pouvons pressentir une plus grande implication personnelle du cinéaste, une toile de ce dernier apparaissant pour la première fois en introduction. De même que dans A scene at the sea, le récit se développe autour d'un sport, ici la boxe, sauf qu'il n'est pas utilisé comme simple prétexte pour raconter autre chose. Bien qu'un message est de nouveau projeté derrière, le sport est également traité pour lui-même avec ses exigences propres.


Le récit repose essentiellement sur la destinée de deux amis aux trajectoires opposées qui ont quitté l'école, l'un voulant devenir boxeur, l'autre yakuza. Mais il se montre encore plus ambitieux en embrassant le cheminement d'autres lycéens aux aspirations différentes : deux comédiens apprentis cherchant la célébrité (comme Kitano), un amoureux transi qui cherche à s'insérer dans le monde du travail, puis d'autres paumés. De nombreuses ellipses parcourent la narration, mais on se sent jamais perdu, et cela permet de couvrir tous ces destins croisés sans trop s'appesantir sur l'un d'entre-eux en particulier.


Au début nous retrouvons ces deux d'amis d'école bien des années après le récit principal, nous faisant ainsi anticiper sur l'échec à venir, tous les deux étant à présent au chômage et sans activité fixe. Ensuite, nous découvrons comment ils en sont arrivés là. Les raisons sont multiples, souvent à peine effleurées mais pertinentes : mauvaises influences (à l'école, au sport, ou à l'extérieur), mauvais choix (ne pas suivre les cours, la séduction des yakuzas qui sont beaucoup moins sympathiques qu'ils n'y paraissent, abandon du sport), la difficulté du travail, et le circuit étroit des études : bref, peu réussissent, et donc que peuvent faire tous les autres ? Aucun jugement n'est émis (sauf via les adultes responsables, qui traitent les jeunes indisciplinés "d'idiots").


Bien que ce film soit moins comique que d'habitude, nous retrouvons quelques "tics" de l'humour de Kitano à travers les blagues que font les deux compères dans l'école ou ceux qui suivent leur exemple dans la boxe sans faire le poids (déjà vu dans A scene at the sea). Le ton demeure quand même assez sérieux, et ces éléments comiques ne sont pas produits de manière poétique comme dans les autres films, mais insistent sur leur caractère pathétique.


La boxe devient donc une révélation pour les deux amis. Elle est une manière pour eux de réagir à la vie de manière positive, de relever un défi personnel. Mais seulement l'un d'entre-eux va se soumettre à ses règles, tout du moins pour un temps indéterminé. D'ailleurs l'espoir existe en dehors comme l'affirme le chef du club, comme si ce sport nous apprenait certains principes très simples applicables de manière générale, comme le respect de soi et des autres, la confiance en soi. Bref l'envie de se frotter au monde. Ce sport est bien détaillé avec l'entraînement, les techniques de base, les coups illégaux, les matchs. Kitano reprend son style répétitif en l'adaptant à l'entraînement, nous offrant ainsi un film plus dynamique qu'à son habitude. La musique de Joe Hisaishi va dans ce sens, plus rythmée qu'à l'accoutumée, parfaitement adéquate au sujet du film.


La réalisation varie également, ce qui est une exception si on connaît les films d'après. Ainsi, nous n'avons pas ici de visages immobiles ou de plans fixes : les personnages ne sont pas enfermés dans un monde intérieur mais cherchent au contraire à s'exprimer. Les deux amis ont une certaine léthargie seulement au début et à la fin, figurant ainsi que sans activité ou but, ils ne sont rien du tout, presque morts. Cependant, l'espoir, bien que faible (ils sont revenus à la case de départ avec encore moins de volonté et de projets d'avenir), est persistant à la fin: malgré les échecs, tout est encore à faire.


Bref, Kids Return est un très beau film sur la jeunesse via la boxe comme forme de confrontation avec le monde extérieur, sur un fil ténu d'espoir prêt à se rompre.

Arnaud_Mercadie
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mon Top Takeshi Kitano (réalisateur) et Histoire d'une enfance gâchée, sortez vos mouchoirs... ou pas.

Créée

le 12 mai 2017

Critique lue 264 fois

3 j'aime

Dun

Écrit par

Critique lue 264 fois

3

D'autres avis sur Kids Return

Kids Return
ThoRCX
9

Ceci n'est pas la fin, mais le commencement.

Kids Return est un vrai film sur les "Hamidashimono". Ce terme signifie littéralement "celui qui sort/déborde du lot", et vise les marginaux de la société, particulièrement vus comme des gênes dans...

le 4 juil. 2013

57 j'aime

4

Kids Return
Velvetman
8

L'école de la vie

Du haut d’un vélo dans la cour de leur bahut, ça vivote, ça frappe du premier de la classe pour se payer des cigarettes ou mater des films pour adultes. Vivre de l’air du temps en somme, sécher pour...

le 3 déc. 2015

46 j'aime

Kids Return
Sergent_Pepper
7

Cancres las.

Entre les cimes Sonatine (1993) et Hana-Bi (1997), Kid’s Return est, en 1996 une œuvre plus mineure de Kitano ; elle n’en reprend pas moins tous les thèmes de son œuvre, en les abordant plus ou moins...

le 22 août 2017

41 j'aime

Du même critique

Le Sabre
Arnaud_Mercadie
9

De la perfection de l'art samouraï

Là où Tuer se distinguait par son esthétique élégante et toute en retenue, conforme à une certaine imagerie traditionnelle du Japon médiéval, Le sabre frappe par sa simplicité et son épure formelle...

Par

le 27 avr. 2017

10 j'aime

Qui sera le boss à Hiroshima ?
Arnaud_Mercadie
8

Critique de Qui sera le boss à Hiroshima ? par Dun

C'est avec ce second épisode que je prends enfin la mesure de cette ambitieuse saga feuilletonesque sur les yakuza, qui mériterait plusieurs visions pour l'apprécier totalement. Alors que j'étais en...

Par

le 15 avr. 2017

8 j'aime

Mind Game
Arnaud_Mercadie
8

Critique de Mind Game par Dun

J'avoue avoir repoussé la séance à cause de l'aspect expérimental de cet animé de peur de me retrouver dans du sous Lynch un peu trop obscur (non que je déteste l'idée, mais ça peut rapidement tomber...

Par

le 5 mars 2019

8 j'aime