Kiki est pour ma fille Machou (bientôt dix ans) le “plus beau film du monde“ (le ppfdm). Un titre qu’il partage avec le récent Zootopie. Est-ce bien raisonnable ? Tirée d’un livre d’Eiko Kadono, l’histoire est ténue : une enfant de treize ans quitte sa famille afin d’apprendre à vivre seule. Précisons qu’elle est sorcière et fille de sorcière. Or, si les magiciennes sont rares, tout le monde sait qu’elles volent sur des balais. Les fakirs marchent sur des clous, les yogis planent et les sorcières volent, autant de faits communément admis. Kiki est l’exacte opposée de Chihiro : la première est une gamine fantastique vivant dans un monde classique, la seconde une adolescente banale confrontée à un univers chimérique.
Hayao Miyazaki nous plonge dans une Europe océanique, romantique et idéalisée, un habile amalgame de villes méditerranéennes et nordiques, implanté sur une côte dalmate ou suédoise. Le Maître joue avec les époques, mêlant avions et dirigeables des années trente, voitures des années quarante, poste de TV et four électrique des années cinquante. Un temps manifestement troublé par un progrès technique trop rapide qui angoisse les plus anciens, le film débute sur des réflexions inquiètes : « Rien n’est plus comme avant (…) les temps changent… ».
Intégralement réalisé en animation traditionnelle sur celluloïds, un dessin somptueux nous offre de merveilleuses séquences de vols de nuit, de couchers de soleil, de courses dans la forêt. Je ne me lasse pas d’admirer le vol des oies sauvages emporté par une brusque rafale de vent. Le réalisateur réussit le tour de force de nous transmettre sa fascination pour la nature sans le moindre artifice féérique.
Kiki est une véritable adolescente, enjouée, curieuse et encore fragile : soucieuse de bien faire, elle craint d’échouer. Elle converse avec son chat, le sarcastique Jiji : « la mer, ça n’est jamais qu’une immense flaque d’eau », s’adresse aux oies, corbeaux ou vaches, qui semblent la comprendre. Isolée, elle apprend à faire le premier pas. Elle sympathise avec la boulangère et son mutique mari. La généreuse et maternelle Osono lui offre le gite, elle travaillera pour le couvert. Le vol est son seul talent, elle se fera livreuse. La sorcellerie étant une profession libérale reconnue et héréditaire, elle crée sa boite. Un opportun rappel de l’année de production (1989) nous empêchera d’y lire une parabole sur l’ubérisation de notre économie. Elle se lie avec Ursula, l’artiste indépendante, et Tombo, un garçon enjoué. Ce dernier est passionné par l’aviation. Comment ne pas voir en lui le tout jeune ingénieur Jirō ou le futur Porco Rosso ? Le propos est d’une étonnante douceur. Point de malice, ni d’adversité, l’orgueilleuse sorcière ou la fille insupportable des riches voisins se révèlent, au second contact et avec un peu bienveillance, comme simplement maladroites ou distantes.
Nous connaissons trois Miyazaki :
• L’apocalyptique, inquiet et fantastique créateur de Nausicaä de la vallée du vent, de Princesse Mononoké ou du Château ambulant.
• Le réalisateur fantastique panthéiste et apaisé de Mon voisin Totoro, Ponyo sur la falaise et du Voyage de Chihiro.
• Le réaliste désenchanté de Porco Rosso ou du Vent se lève.
Ici, le troisième Myiazaki, rasséréné, marche sur les traces de Frank Capra : oui, la vie est belle et l’humanité capable du meilleur. Kiki est une joyeuse ode au bonheur simple, celui du quotidien et des voisins plus ou moins choisis. Non, tout n’est pas perdu, le monde est si beau !
« Ah, le monde est si beau qu'il faudrait poster ici quelqu'un qui, du matin au soir, soit capable de ne pas remuer. » Paul Claudel