Kill Bill vol. 2 prend ouvertement ses distances avec son aîné. Interdit aux - de 12 ans chez nous (contre 16 pour le premier, autrement plus gore), plus long de vingt minutes, il ressemble davantage à une suite qu’à une seconde moitié de film. En termes de rythme, la rupture est également consommée, la langueur du volume 2 prenant le contre-pied du crescendo sanglant de son prédécesseur. De même, si les deux films offrent un climax à rallonge, leurs tonalités respectives se tournent joyeusement le dos. Pourtant, on retrouve dans chaque opus cette fameuse alternance entre couleur et noir & blanc mais elle n’est plus soumise à des artifices visibles. Dans volume 1, l’arrachage d’un oeil à mains nues retirait ses couleurs au métrage. Ici, le même geste n’a aucun effet direct sur la mise en scène. Si noir & blanc il y a, c’est à d’autres fins : dès l’ouverture, la mariée brise le quatrième mur en s’adressant au public, et y décrit les termes employés pour vendre le premier film !


Forcément, tout laisse à penser que Quentin va embrayer sur le même credo, l’absence de couleurs suggérant que nous ne sommes plus à une infraction près... Mais si Tarantino habite son film, il ne va plus faire de ses fantasmes et fétiches un buffet à volonté. Il y a ainsi de quoi être surpris par le minimalisme dont cette fausse suite fait preuve, les décors se réduisant parfois à une portion de mur au coin du feu, à un bar désert, à une caravane négligée ou encore à un bout de désert. Fruit d’un travail minutieux, les décors de Kill Bill vol. 2 n’en sont pas moins hallucinants de sobriété. Mais après tout, Sergio Leone ne concluait-il pas Le Bon, la brute et le truand dans un décor lui aussi « sommaire », étendue de pierres tombales loin de l’opulence du champ de bataille aperçu plus tôt ? Western moderne où la modernité n’a pas droit de cité au coeur du conflit (la borgne Elle Driver méprisera Budd pour avoir lâchement tiré un coup de fusil sur la Mariée, venue régler ses comptes à l’arme blanche), Kill Bill vol. 2 est soumis au calme apparent de ses grands espaces.


Redonnant un maximum de véracité à son histoire (du moins, autant que possible sur les bases exubérantes du volume 1 !), Tarantino fait profil bas, plus intéressé par de longues retrouvailles que par de sanglants adieux ; point de départ du récit, le massacre de la chapelle reste invisible, conséquence d’un mouvement de grue qui prend ses distances avec la tragédie. Il n’est d’ailleurs question que de ça dans cet opus, de retrouvailles et d’adieux. Celles et ceux d’un homme et d’une femme, d’une mère et de sa fille, d’une culture et de ses descendants. Une fillette qui s’endort paisiblement devant Shogun Assassin, la longue hésitation d’une femme qui a enfin trouvé une raison de vivre autre que la vengeance, et deux amants qui règlent un vieux contentieux en dissertant sur Superman. Presque langoureux dans son emphase, le long final de Kill Bill vol. 2 est à la fois l’antithèse et le complément idéal de la boucherie qui refermait son aîné.


Pour comprendre ce qui fait courir Tarantino, il suffit d’observer comment il gère ses petites habitudes, et particulièrement son péché mignon. Au lieu de les rendre sexy, il filme ainsi les pieds nus de son héroïne en train d’arpenter un désert aride, ou encore lorsqu’elle écrase entre ses orteils un oeil fraîchement arraché. Ce n’est que plus tard, lors d’un flash back hôtelier, que Quentin s’autorise un soupçon d’érotisme, soit quelques inserts au ras du sol pour rythmer l’attente fébrile de Beatrix faisant les cent pas dans sa salle de bains. Cela peut faire sourire mais c’est ce genre détails qui font de QT un cinéaste intelligent. Si ce fétichisme est à la fois malmené et assumé dans Kill Bill vol. 2, il disparaîtra par exemple dans Django Unchained, dont le contexte aurait rendu obscène cette innocente obsession. Tout juste remarquera-t-on, lorsque Django revient sauver sa femme en dernière bobine, un travelling latéral allant d’un bout à l’autre du lit où elle est étendue, pieds nus. Mais aucune érotisation ni insistance ici, loin s’en faut.


Œuvre aussi furieuse qu’apaisante, Kill Bill vol. 2 vise le coeur de ses personnages avant que Tarantino n’ouvre le sien lors de l’électrisant générique. Alors qu’il conclut son oeuve avec tendresse, faisant passer son héroïne des larmes au rire, il n’oublie pas que soigner sa sortie de scène est le meilleur moyen de s’incliner devant ses modèles. Regroupant jusqu’aux personnages secondaires de la saga, le générique final de Kill Bill n'est rien moins qu’une déclaration d’amour au métissage culturel. Et n’est-ce pas cela, au fond, qui a forgé la personnalité de Quentin Tarantino ?


[NOTE : ce texte est extrait d'une analyse croisée des sagas Happy Feet & Kill Bill. Vu sa longueur, trois rédacteurs se sont répartis le travail au sein d'une webrevue mais la partie sur Kill Bill vol. 2 porte ma signature]

Fritz_the_Cat
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le 22 déc. 2015

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