D’ordinaire, je ne goûte guère aux fictions mettant en scène les idiots, et encore moins, cela va sans dire, lorsque ces derniers sont peints à l’aide du rouleau grotesque de la caricature ou de la farce grasse.
J’ai aussi souvent du mal avec la peinture (on y reste) sociale qui annonce d’entrée de jeu à quel point l’entreprise du héros est vouée à un échec inexorable (avec ses exceptions habituelles lorsque la chose est merveilleusement racontée, comme c’est le cas des «forbans de la nuit» par exemple).

Bref, il fallait une sacré dose de talent pour m’enthousiasmer sur ce "Killer Joe" au titre somme toute un brin fade. Et pourtant, enthousiasme il y a. Un enthousiasme plein, franc et joyeux, même.

Joe Cooper est un professionnel méthodique qui a des principes, étant d’abord et avant tout un flic. Du coup, quand un fils et son père le contactent pour un contrat (assassiner la mère, séparée) mais ne peuvent apporter l’avance nécessaire, puisque que c’est grâce à ce meurtre qu’ils espèrent faire –petite- fortune, il pense d’abord refuser le deal. Mais quand son regard croise la fille de la famille, sa mécanique bien huilée s’enraye et il envisage la possibilité de prendre une caution, sexuelle.

Le miracle de ce polar barré tient en deux choses. L’écriture incisive, tragiquement lucide de Tracy Letts et le regard acéré de Friedkin qui aime plus que jamais frayer dans les mêmes eaux, troubles, que l’auteur de pièces.

Et ce n’est pas la seule connexion entre Letts et Friedkin, puisque, dès les premières images, le langage de l’un tutoie celui de l’autre, la forme se conjuguant avec le fond. Fridekin a mis près de 40 ans à comprendre qu’il n’obtiendrait jamais de moments prodigieux à la 25eme ou la 35eme prise d’une scène. Du coup, une réelle spontanéité transpire de la plupart de ses plans. Son autre principe, rejoignant le premier, consiste à ne donner que très peu d’indications physique ou psychologique à ses acteurs. Par contre, les connaissant suffisamment, il se débrouille toujours pour évoquer avec chacun d’entre eux l’anecdote intime ou le souvenir qui fait mouche, donnant au comédien l’occasion d’être immédiatement dans la plage d’émotion attendue.
Le résultat est qu’on ne compte plus les moments d’interprétations jubilatoires. Tous les acteurs avaient une forte envie de participer au tournage et, foutre dieu, ça se sent !
Je n’avais jamais soupçonné Matthew McConaughey de pouvoir être aussi bon.


Vous l’avez compris, une foultitude de détails jouissifs ont alimenté mon générateur à plaisir, comme le blocage de Joe contre la télé, les moments de terrible lucidité de Dottie, ou la capacité du père à se foutre éperdument de tout ce qui n’apparait pas à l’écran et surtout, surtout, cette scène monumentale de justesse ou Joe s’attable avec Ansel et Sharla pour essayer d’y voir un peu plus clair dans les motivations des uns et des autres.

Alors oui, on pourra se demander en fin de compte si les deux ou trois scènes de nudité d’actrices étaient totalement nécessaires au propos. Mais Letts et Friedkin ont encore une fois raison: la vie, c’est souvent plein de bruit et de fureur, et presque toujours plein de sexe, alors pourquoi le cacher ?
Il n’y a bien que dans le monde du 16ème Benoit (ou dans celui de ses collègues des boutiques d’à côté) que l’on veuille taire ou cacher ce genre de choses. Et bon, à quoi bon conserver un voile pudibond et occultant au moment ou même ce dernier semble vouloir lâcher l’affaire ?
guyness

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