Adapté d’un livre éponyme de David Grann lui-même basé sur de sinistres faits réels se déroulants en Oklahoma dans les années 1920, le film de Scorsese s’ouvre sur une séquence muette en noir et blanc se faisant passer pour des images d’archives. Et une fois le récit terminé, au lieu d’avoir l’habituel texte blanc sur fond noir nous expliquant ce qu’il est advenu ensuite des personnages après les événements dépeints, Scorsese nous raconte ceci par le biais d’une fiction sonore produite sur scène, avec un narrateur et des bruiteurs.
Le film s’ouvre donc en dépeignant le récit avec des images sans son et se finit en le racontant avec du son sans images. Il s’ouvre sur de fausses archives et se finit sur une fiction assumée. Ces séquences d’ouvertures et de fermetures permettent donc à la fois de situer le récit temporellement (celui-ci commence à l’ère du muet et s’achève à l’arrivé du parlant), mais c’est aussi un moyen pour Scorsese de définir son geste : il souhaite coller au réel, raconter fidèlement une époque, produire des images pour pallier à l’absence d’images d’archives de ces évènements. Et en même temps, que l'affirmation de cette démarche, il semble nous indiquer par cette scène finale qu’il a conscience que ce qu’il fait, au final, n’est qu’un film, une fiction, avec tout ce que ça implique d’éloignement vis-à-vis de ce réel passé, en termes de reconstitution, de mise en scène, de dramatisation.
Outre ces deux séquences, le film est porté par d’excellentes performances des acteurs, notamment DiCaprio, en léger surjeu constant et volontaire dans son rôle d’Ernest, permettant un grand contraste avec le jeu très sobre de Lily Gladstone, qui incarne Molly, sa femme. Tout deux ont une certaine passivité vis-à-vis des évènements : Ernest ne fait que suivre ce qu’on lui demande de faire, et Molly semble accepter son sort et celui de ses semblables. Le fait que ces personnages ne soient pas moteurs des évènements tout en y participant quand même (surtout pour Ernest), permet de montrer que le phénomène des blancs vampirisant les osages n’est pas un phénomène individuel, dû par le seul fait d’Ernest. C’est un phénomène structurel.
Cela est appuyé par l’une des premières séquences du film qui nous montre une série de meurtres d’osages par des blancs, meurtres qui seront qualifiés de suicide sans que la police ne prenne la peine d’enquêter. Il est également décrit que si les osages sont riches, ils ont des tuteurs blancs et ne peuvent disposer de leur argent comme bon leurs semble.
Le film évite également de tomber dans un misérabilisme facile qui aurait consisté à dépeindre les osages comme de pauvres victimes naïves incapable de comprendre ce qui leurs arrive. Dans le film, les osages sont le contraire de naïfs. On le remarque notamment lors d’une scène où des sœurs osages – dont Molly – parlent entre elles, et où elles montrent être conscientes du fait que leurs prétendants – y compris Ernest – s’intéressent à leur argent et qu’elles ne sont donc pas dupe de ce fait. Il faut ajouter à cela le fait que, plus tard dans le film, Ernest ajoute régulièrement du poison dans l’insuline de Molly, et celle-ci, loin d’être naïve, finit par s’en rendre compte, bien qu’elle choisisse malgré tout de ne rien en dire.
Le scénario échappe également à la simplicité dans l’écriture du personnage d’Ernest.
Il n’est pas un amoureux naïf qui se retrouve à faire le mal malgré lui à cause des manipulations de son oncle. Ce n’est pas non plus un manipulateur qui épouse Molly par pur cynisme, pour son argent. Il est un peu des deux. Il est sincèrement amoureux, mais il a aussi une part de cynisme, et s’il est manipulé par son oncle, il ne cherche pas à lui résister, et sait ce qu’il fait.
Scorsese nous livre donc un film à la narration subtile et travaillée, dépeignant le quotidien de personnages s’inscrivant et participant à une société vampirisant la vie et l’argent des osages ; narration appuyée par une mise en scène permettant entre autres au spectateur de se distancier moralement des personnages.