Je ne vois pas comment aborder le film sans parler de ce qu'il me semble vouloir être. C'est à dire une grande fresque à l'imagerie américaine reprenant les décors et la grandiloquence des classiques des westerns au sens large. J'entends par là les films qui se passe au moment de l'industrialisation des USA jusqu'à l'époque contemporaine . Ce contraste entre faire une imagerie grandiose sur des sujets cachés, mis sous le tapis.
On parle bien ici de ce peuple amérindien, les Osanges, qu'on a exilé dans une zone du pays où ils ne feraient pas de vague mais, manque de bol pour les hommes blancs, c'est une zone où le pétrole coule à flot. Ces Amérindiens vont donc devenir riches et puissants dans le système que ces hommes blancs aiment particulièrement, le capitalisme. C'est ici que notre histoire prends forme dans le film de Scorsese.
À la manière des Portes du Paradis, Ragtimes, Il était une fois en Amérique et autres fresques auxquelles notre cher Marty fait parfois une citation formelle (l'arrivée de DiCaprio rappelle fortement Il était une fois dans l'Ouest, je suis très loin d'être le seul à l'avoir notifié).
Là où je veux en venir, c'est qu'ici, nous avons affaire à un film qui finalement se veut dans une tradition perdue. J'apprendrais à personne que Scorsese vient de l'école du Nouvel Hollywood. Celle-ci se caractérise par une envie de liberté artistique totale mais tout en ayant des auteurs qui parviennent à ramener le public en salles. Une liberté souvent utilisée pour critiquer le système américain tout en étant fait par des gens qui viennent de ce pays, et l'aime. Ce tiraillement, on le retrouve au plus profond de ce mouvement. Le grand spectacle et l'intime. L'envie de dire qu'au fond on aime cet Amérique, qu'elle soit rurale ou sauvage, mais aussi que c'est un pays immature et capable des pires atrocités par ego. Bien sûr, ce sont des cinéastes qui sont de la génération guerre du Vietnam et surtout de l'affaire du Watergate. C'est une des explications du succès populaire de ces films à leurs époques. On avait besoin d'explications sur les horreurs que ce grand et beau pays qui prône la liberté avait commit. Le tout avant que les années balaie tout ça. Tout cela pour dire que ça n'est pas anodin que Scorsese fasse un film comme celui-ci aujourd'hui. En tout cas je vois deux raisons à cela.
La première, que je vais filer avec ma longue explication précédente, c'est que depuis une dizaine d'année, les studios hollywoodien ont complètement repris le contrôle. On ne cherche plus de jeunes créateurs, on a trouvé une grammaire, une forme, qui amène les gens en salles (coucou les univers étendus) et on l'applique bêtement. On voit bien avec les chiffres du box office que cette tendance commence à s'essouffler. Et quand les producteurs ne peuvent plus exploiter une formule, il faut de jeunes réalisateurs pour en créer de nouvelles. Il suffit de penser aux cinéastes qui ont eu des budgets titanesques fin 90 début 2000 (Sam Raimi, Peter Jackson, Les Wachowskis, Verbinski , Nolan etc). Bref, je pense que Scorsese a tout simplement senti que c'était un film qui permettait de faire une boucle, une passation entre le cinéma d'où il vient, et le cinéma actuel, voir celui qui se profil à l'horizon.
Deuxième raison (oui il faut suivre), c'est qu'il en a fini avec les thématiques qui faisaient l'essence de son art. Avec Silence, il faisait son film testament sur la foi, thème omniprésent. Il la déconstruisait et la questionnait. Tout comme il le fera deux ans plus tard avec The Irishman avec la mafia, sujet également omniprésent chez lui. Et maintenant qu'il en a terminé avec tout ça, il retourne en terrain connu pour s'amuser pour les derniers films de sa vie et revenir à ses bases, le cinéma qui l'a fait rêver. Peut-être également vouloir utiliser son pouvoir à Hollywood (qu'on aime ou pas, il s'agit de l'un des cinéastes les plus influents de tous les temps) pour dénoncer à grande échelle.
Et tout cela est on ne peut plus entendable. Comparons cette démarche à Spielberg. On est sur la fin de carrière et il décide de réfléchir, disséquer son rapport au passé. Je pense surtout à son remake de West Side Story qui n'est fait que de miroirs avec l'original pour à la fois traiter de problèmes voir des thématiques plus modernes tout en montrant que rien n'a changé. Il fait également une passerelle cinématographique entre deux époques.
Là, Scorsese me semble plus dans la partie nostalgique. Ce qui en soi ne me dérange pas. Mais ça me donne une impression de mise en scène plus sobre, moins inventive et qui joue moins avec son spectateur. Un film en décalage avec son époque tout simplement. C'est pour ça que je fais une distinction avec Spielberg qui lui communique autant avec les jeunes spectateurs que les anciens encore aujourd'hui, Killer of the Flowers Moon lui sonne plus boomer. Faire du "vrai" cinéma. Mais seulement voilà, ça ne me dérange pas. Voir une grande fresque sans spécialement d'originalité, déjà, il n'y en a pas tant que ça, et ça reste agréable à regarder. Maintenant plongeons-nous donc dans ce film.
Mon premier problème, on me dit qu'il s'agit d'un film sur ce peuple amérindien, les osages. Je ne trouve pas.
Il ne suffit pas de commencer et terminer le film sur eux et qu'on parle leur langue 3 fois dans un film de 3h27 pour que j'ai l'impression de les connaitre (aller, plus une scène de mariage et d'enterrement).
Le point de vue est celui des blancs. Certes c'est pour montrer leur perversité et c'est fascinant. Or, ce n'est pas un film sur ce peuple. Et je vois bien que notre cher réalisateur des Affranchis veut poser une mise en scène froide, précise, qui décortique froidement ce poison qui s'immisce dans ce peuple qui n'a rien demandé personnalisé par Mollie, la femme de Dicaprio.
Le poison sous couvert de médicament avec le traitement du diabète. La destruction sous couvert de bienveillance.
Sur le papier c'est fascinant, dans les faits je ne vois pas le changement, l'évolution. Je ne comprends pas le fonctionnement de cette communauté, je ne vois pas le nombre qu'ils représentent. Si les meurtres représentent une grosse partie de ces gens ou peu. On me demande de voir entre, avant la prise de pouvoir des blancs, et après, mais je ne la vois pas. Si je dois être méchant je dirais juste que je vois une famille mourir lentement et c'est tout.
Certes ce n'est sûrement une personnalisation de toute cette communauté mais aucune métaphore visuelle, aucun parallèle n'est fait pour me le faire ressentir. Résultat, sur 3h27, j'ai le ressenti d'avoir vu des blancs pendant 2h30 et des osages pendant 1h.
Et pendant cette heure, 30min de cette jeune femme en train de crever dans un lit avec des scènes qui se ressemblent toutes les unes les autres. Justement car elles ne sont pas liés. visuellement à quelque chose de plus grand.
Pour terminer sur le chapitre des défauts, je vois un métrage qui tourne en rond au lieu de progresser méthodiquement, subtilement, froidement. Je comprends son envie, cette progression lente de la prise de pouvoir.
Les seuls moments qui me faisaient ressentir cette avancée c'est les instants entre Dicaprio et De Niro avec régulièrement la même musique pour symboliser que ces moments sont des rendez-vous professionnels et non de simples rencontre familiales. Mais entre ces moments, je ne vois pas vraiment d'éléments changer. D'où ce sentiment de boucles mais qui n'évolue pas. C'est très désagréable. Ça m'embête car Scorsese, en vérité, n'a jamais été un expérimentateur. Il a toujours appuyé avec sa forme sa narration. Ce qui donne souvent quelque chose de visible, peu subtil à l'image, mais qui finalement en dit beaucoup sur ses personnages.
Exemple : Quand De Niro est au téléphone dans Taxi Driver pour demander conseil et que la caméra revient sur le couloir d'où il vient alors que la discussion est encore en cours. On comprend immédiatement que ce coup de téléphone est vain. Que le personnage a déjà pris sa décision.
Ceci étant dit, on n'est pas chez un amateur. Niveau artisanat, tout est solide. La photo est sublime car s'adapte à ces modèles (ce qui est aussi une limite) mais on croit en cette ville en développement. On sent la poussière, la chaleur, la maladie. Chaque décor est parlant, vivant et parle pour ses personnages. Une scène en prison où Dicaprio apprend une mauvaise nouvelle est exemplaire. Une prison avec littéralement des cages, peu éclairé, ce qui donne une profondeur infinie. Ce qui créer un instant réellement déchirant car c'est un cri de détresse dans un vide glaçant. Une scène d'incendie également où il utilise la déformation qu'offre le feu pour créer une image mosaïque sublime. En fait, je tombe dans ce truc que forcément, on attend plus des gens talentueux que de ceux qui nous ont habitués à du lambda.
Oui, ce film d'étonne dans le paysage du cinéma actuel. Non, il ne détonne pas dans la filmographie de son auteur. Même si je ne crois pas avoir déjà vu un Scorsese qui méprise autant ces personnages principaux. Ici, aucune fascination pour ces bandits car quelque part ils ne sont pas profond, pas intéressants. Ce sont des gens qui ne sont fascinéque par l'argent. Ni plus, ni moins. Dicaprio est un débile entouré de débiles. De Niro est un homme cynique. C'est tout. Et c'est intéressant car c'est un nouveau regard de la part de ce cinéaste, on sent que la déconstruction opérée par The Irishman est présente, il ne s'agit pas d'un retour arrière thématique sur sa carrière. Il a fait le tour des bandits, il n'a plus la même admiration pour eux donc les raconte différemment.
Je vais conclure que quand bien même le film me déçoit, j'y trouve de vraies limites, je prends plaisir à en débattre autour de moi car pour une fois, quand les avis sont opposés, je peux me retrouver dans les deux camps. Ce qui témoigne tout de même d'une complexité certaine, on a envie de parler de Killers of the Flower Moon, de le comprendre, et c'est déjà beaucoup.