Martin Scorsese revient sur nos écrans avec une fresque passionnante, instructive et dense qui convoque deux de ses grandes obsessions, les gangsters et la face sombre des fondations de l’Amérique moderne.
Killers of the Flower Moon est une immense tragédie qui se déploie inéluctablement au fil des ans, rattrapant un à un ses personnages et meurtrissant un pays pour des générations.
Le film relate des faits peu connus mais bien réels. Au début du siècles, les Indiens Osage firent fortune grâce au pétrole, menant une vie oisive et aisée avant de se faire spolier par les blancs américains de la manière la plus cynique qui soit, une élimination de masse sournoise et progressive.
Le sort réservé aux indiens et dépeint avec force et détails par Scorsese pointe du doigt le racisme et la violence systémiques sur lesquels s’est construit les Etats-Unis.
Le réalisateur octogénaire choisit de raconter cette histoire à travers les yeux d’Ernest, gamin du coin un peu bas du front de retour de France pour travailler avec son oncle, William « King » Hale riche politique au discours double. Sous ses airs de bienfaiteur philanthrope ami du peuple Osage, King est surtout obnubilé par leur fortune et ne recule devant aucune pratique mafieuse pour s’approprier l’or noir. Il incitera pour cela Ernest à se rapprocher de Mollie, une Osage, dans l’espoir qu’il puisse l’épouser et hériter à terme de ses terres si précieuses, comme le font alors beaucoup d’hommes blancs pas toujours bien attentionnés. Mais ce qu’Ernest va progressivement (mais difficilement) comprendre, c’est que l’entreprise de son oncle va encore plus loin et qu’il cherche à éliminer progressivement tous les membre de la famille de Mollie.
Ernest va alors être constamment déchiré entre l’amour sincère qu’il porte à sa femme et l’implicite allégeance faite à son oncle et à sa funeste avidité.
On ne va pas se mentir, 3h17, c’est long. Mais il faut bien tout ça pour poser les tenants et aboutissants d’un récit multiple et complexe dont la partie thriller fascine autant que sa dimension historique passionne et sa tension dramatique nous touche. Il n’y a dans Killers of the Flower Moon finalement rien de superflu. La mise en scène fluide et imposante capture un environnement électrique de cohabitation forcée et traduit la noirceur du récit, partagée entre reconstitution évidemment impeccable (costume, décors, photographie) et faux films d’époque qui garantissent une immersion totale. L’énergie qui parcourt le film est différente de celle des précédentes réalisations de Scorsese, The Irish Man mise à part. La violence brute est souvent hors champs et se déplace beaucoup dans les non-dits. Elle est assez anti-spectaculaire mais n’est pas avare en plans sidérants, que ce soit un puit de pétrole qui jaillit de terre ou un feu qui se déclare sur le domaine de King.
Scorsese peut aussi compter sur des acteurs qu’il connait désormais par cœur et pleinement investis.
Di Caprio, habité, mâchoire serrée et œil hagard, campe un personnage faible et influençable, une fois n’est pas coutume. De Niro impressionne encore en parrain paternaliste faussement humaniste, rusé et manipulateur. Il crie moins qu’à l’époque, mais n’en est pas moins charismatique. Ces deux-là entourent le miracle Lilly Gladstone, mélange de douceur et de rage, de lucidité et faux espoirs. Son regard irradie l’écran, c’est une vraie révélation.
Le cinéma de Martin Scorsese a sans doute un peu changé avec l’âge, il est plus apaisé, traversé par une énergie différente, toujours puissant mais retenu. Il est d’ailleurs peut-être d’autant plus puissant qu’il est retenu, ce qui fait émerger de lui une émotion nouvelle, un peu mélancolique.
Killers of the Flower Moon est un joyau sombre, qui brille peu mais émerveille par la finesse de son polissage. Un chef d’œuvre qu’on est heureux d’avoir pu découvrir sur grand écran grâce à la stratégie récente d’Apple de sortir ces films Originals en salle avant qu’ils ne soient disponible sur la plateforme. La firme a la pomme a bien compris que rien ne remplaçait la salle de cinéma pour valoriser une œuvre et ses cycles d’exploitation suivants. Pari hautement réussi ici.