Le propos est louable, mais la façon de le mettre en scène est tellement peu subtile… C’est ce qui s’appelle, je crois, un « film-manifeste », politisé à l’extrême mais de façon fort maladroite, décharnée. Certes c’est inattaquable dans le fond, mais sur la forme c’est tout simplement barbant. Il n’y a pas de prise de risque, pas de « sel » pour donner à l’histoire le souffle qu’il lui aurait fallu pour me garder rivé à mon écran, dans l’attente d’une « explosion » (qui peut-être ne se serait pas produite, mais dont la potentialité eût été au moins conservée, comme « horizon d’attente »).
Pourtant en lisant le synopsis j’étais on ne peut plus curieux, d’autant que le film est adapté d’un roman, ce qui est souvent bon signe. Mais les dix premières minutes m’ont vite fait déchanter : on nous assomme de plusieurs dizaines de personnages dont on ne sait rien, dont on ne comprend pas les rapports avec la protagoniste. La première « possession » de Mme Kim devant la famille de son mari (si j’ai bien compris) perd de ce fait toute puissance dramatique, puisqu’on n’a tout simplement pas eu le temps de s’attacher aux personnages, de comprendre leurs réactions, leurs façons de penser etc.
En fait il y a un gros souci avec la narration, confuse et parfois même cryptique. Je ne sais pas si c’est voulu de jouer à ce point sur les non-dits (peut-être est-ce le cas dans le roman, mais c’est toujours mieux rendu à l’écrit qu’à l’écran), en tout cas j’ai rapidement été perdu sous les trop nombreuses informations qu’on nous largue sous les yeux sans nous laisser le temps de bien les comprendre, de les « décanter ». Même remarque pour la « possession » de Kim Ji-young, dont les ressorts restent suffisamment flous pour devenir in fine un outil utile à la dramatisation gratuite.
C’était le genre de film parfait pour une réalisation douce, épurée, patiente. Sauf que là c’est exactement l’inverse : beaucoup de coupures, d’ellipses, des récits qui se chevauchent, sans oublier les funestes flashbacks, à croire que sans ça on est incapable de susciter la moindre émotion chez le spectateur… Eh bien non pourtant, j’ai été infiniment plus touché au tout début, durant cette première scène silencieuse où l’héroïne passe sa journée à ranger les affaires de sa gamine et la termine en contemplant le coucher de soleil seule sur sa terrasse que durant tout le reste du film : comme quoi…
On sait ce que c’est la réalité de la condition féminine, on nous en parle à longueur de journée dans la presse, à la radio, à la télé. On peut même en être témoin dans la rue ou au boulot, à peu près n’importe où en France ou dans le monde, chaque jour. Or le film se borne à ne nous montrer que ça, et il échoue assez misérablement à faire décoller l’intrigue autour de la fameuse Mme Kim, qui reste cantonnée à un rôle pratiquement secondaire. Il manque la « violence », la « radicalité » qui différencie le film « gentil » du film « méchant », ce dernier étant infiniment plus marquant que le premier ; ce qui différencie ce Kim Ji-young d’un Burning en quelque sorte (oui oui, Burning est un film éminemment féministe, en négatif bien sûr, mais quand même : cf. ma critique).
Quand je dis « manque de violence » je ne l’entends pas seulement au figuré mais aussi au sens propre : ainsi le mari Kim, lorsqu’il voit sa femme possédée, ne réagit que très mollement, alors que bon, c’est quand même censé être un événement tout à fait extraordinaire, possiblement démoniaque ! Je crois que le réalisme est à géométrie variable en fait, et c’est ce qui m’a beaucoup gêné ; cette crainte de se jeter tout de go dans le fantastique, d’en faire le suc de toute l’histoire, quitte à s’éloigner du livre si celui-ci était trop contraignant à adapter au mot près est assez décevante… Et puis, au passage, n’est-ce pas un film où il eût été bon d’avoir une voix-off, histoire d’en savoir plus long sur la psychologie de l’héroïne, si honteusement bâclée ? La faire arriver à la fin, pour le traditionnel happy end qui élude la moitié des intrigues secondaires – au demeurant parfaitement inintéressantes –, c’est un peu facile tout de même…
Mais je comprends tout à fait après qu’on puisse aimer, voire adorer ce film. Et pour cause : il est comme on dit « pétri de bonnes intentions ». C’est d’ailleurs pour cette raison que je lui mets au moins la moyenne. C’est un film qui servira, passagèrement, à rassurer quelques personnes, pour leur montrer que la vie c’est vraiment de la merde pour une femme encore aujourd’hui ; qu’ici (dans ce film), comme dehors, tout est « bien à sa place ». Mais à mon sens on a déjà fait beaucoup mieux sur le même sujet ailleurs, et beaucoup plus finement en termes de pure cinématographie, de « surprise » qui dépasse le seul cadre de la caméra.