Trois Lánthimos pour le prix d’un : a priori on dit banco. Trois récits barrés qui retrouvent l’acidité et l’aridité de ses premiers films (Kinetta, Canine, Alps) dans lesquels la narration s’appuie sur un réel sans aspérité qui se voit parasité par une étrange étrangeté et une altération des rapports humains. Ici se seront un homme dont tous les choix (ce qu’il doit lire, ce qu’il doit manger, quand il doit faire l’amour à sa femme…) sont dictés par son employeur et qui décide de reprendre le contrôle de sa vie ; un autre homme qui constate que sa femme, retrouvée après une disparition en mer, semble être une personne différente ; une femme enfin, membre d’une secte aux pratiques singulières, qui cherche une personne capable de réveiller les morts et amenée à en devenir le chef spirituel.

Mais Kinds of kindness n’échappe pas à la règle, voire à la malédiction, du film à segments. À savoir que c’est souvent inégal, qu’il y en a toujours un qui vient plomber l’ambiance. Un détail qui ne trompe pas d’ailleurs : Kinds of kindness n’était, à l’origine, qu’une histoire (la meilleure des trois et qui, à elle seule, aurait suffi à un long-métrage), celle de cet employé dont la vie est orchestrée par un autre. Lánthimos et son scénariste attitré Efthýmis Filíppou ont voulu la faire exister au sein d’un film à récits multiples qui n’apporteront rien l’un à l’autre (et liés entre eux par un personnage anecdotique prénommé R.M.F.), sinon diluer chacun dans un ensemble laborieux pour ne plus en retenir grand-chose à la fin, quelques scènes choc ici et là, certes, et quelques saillies d’humour noir de temps en temps.

Il eut fallu sans doute trois œuvres distinctes, traiter à part chaque thématique abordée, et pas ce machin mastoc de 2h45 qui, trop souvent, met notre patience et notre intérêt pour la chose à rude épreuve. Certes, un fil conducteur se dégage de tout ça que chaque spectateur appréhendera à sa façon, et on pourrait tenter celui-ci par exemple : Lánthimos observe ce pauvre mortel que nous sommes se débattre avec ses propres travers, ses propres contradictions, l’amenant à rejeter les principes de son existence comme à vouloir rejeter l’autre (et l’amour qui va avec). Et donc chaque volet abordera ces travers-là (soumission, paranoïa, contrôle, dépendance, violence, foi dévoyée…) en nous donnant en pâture un petit bout de condition humaine dans ce qu’elle a de moins glorieux sans but avéré, de vue morale éventuellement.

Juste ça on dirait : un jeu de massacre stylisé (acteurs interprétant plusieurs rôles, mise en scène au cordeau, musique avec chœurs de circonstance et notes de piano stridentes, insistantes, à la Eyes wide shut…). Après tout pourquoi pas. Le cinéma en compte pas mal qui ont su marquer, être appréciés a minima. Mais peut-être parce qu’ils avaient un truc en plus. Peut-être parce qu’ils avaient vraiment quelque chose à dire, quand Kinds of kindness donne l’impression de dire quelque chose, et en fait ne dit pas grand-chose. Mais qu’importe le fond en vérité. À quoi bon. Parce que le film tourne à vide quoi qu’il en soit. Ressasse, s’éparpille, se fige, désincarne.

La preuve : les personnages ne sont pas «incarnés», ils sont donc «interchangés». Lánthimos n’en fait que des pions succédant à d’autres pions. Des visages succédant aux mêmes visages, des grimaces aux mêmes grimaces. Des «performances» (Emma Stone danse sur le Brand new bitch de Cobrah et tout le monde s’ébaubit) aux mêmes «performances» (un prix d’interprétation pour Jesse Plemons, sérieusement ?). Et pour quoi, pour quelle volonté ? Pour une sorte d’uniformité des corps censée créer «un sentiment de continuité à un niveau subconscient» (dixit Lánthimos), mais qui a tout d’un vain gimmick aux prétentions vaguement surréalistes, achevant de ne faire de Kinds ok kindness qu’une sorte de punition démonstrative.

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mymp
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le 1 juil. 2024

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