Dans le monde sauvage du blockbuster, il existe deux espèces de réalisateurs. D'un côté les réalisateurs interchangeables selon le désir des maisons de productions ( triste système ), et de l'autre ceux qui ont de l'ambition. L'ambition de façonner des objets purs, de laisser une empreinte colossale dans l'histoire du septième art, ainsi que dans les mémoires et le cœur de ceux qui se laissent effleurer par la magie de ces artistes visionnaires.
Evidemment, le génie du maître Spielberg y est pour beaucoup dans la création de ce cinéma, celui de la démesure et du sensationnel, mais les nombreuses générations qui ont grandi en visionnant sa monstrueuse filmographie sont à l'origine de la découverte de bonnes surprises. Du cinéma méticuleux de Christopher Nolan au cinéma technique de James Cameron, il y en a pour tous et toutes.
Celui qui nous intéresse aujourd'hui est un cinéaste d'envergure ( sans jeu de mot ) : Peter Jackson.
Après deux films " adorables " et des débuts difficiles financièrement parlants, l'ogre bâtisseur s'est attaqué au chantier périlleux ( " casse-gueule " pour les voyous ) que tout le monde connaît, Le Seigneur des Anneaux. Un succès commercial et critique retentissant à tel point que ce n'est plus une pierre que Jackson dépose sur l'édifice des blockbusters, mais une montagne.
Alors que beaucoup de réalisateur seraient redescendus sur Terre pour profiter de leur succès, au point d'y rester embourbé ( Oui oui Robert Zemeckis, c'est bien de vous dont je parle ), le grand Peter décide immédiatement après la fin des travaux sur sa célébrissime saga de s'attaquer à une autre œuvre, moins dense, mais ô combien lyrique.
Si, de nos jours, une personne vous informait qu'elle souhaiterait faire un remake d'un film comme M le maudit de Fritz Lang, quelle serait votre réaction ? D'abord sous le choc et l'incompréhension, vous lui rétorqueriez sûrement par la suite qu'il est fou. Mais les esprits tordus sont parfois à l'origine d'œuvres qui dépassent l'entendement, n'est ce pas ? C'est comme cela qu'aurait pu commencer l'histoire du King Kong de Peter Jackson. L'œuvre originelle de Cooper et Schoedsack, datant de 1933, est rapidement entré dans l'imaginaire collectif, d'ailleurs, un jeune néo-zélandais en avait fait son film favori. Très tôt dans sa carrière de cinéaste, l'idée de faire un remake émerge dans l'imaginaire de Peter le débrouillard.
Une dizaine d'année plus tard, le rêve de gosse était réalisé.
Allez, maintenant on s'attaque vraiment au film.
Jackson sait comment raconter les histoires, et avec King Kong, il le fait généreusement. Rapidement, le maître montre ce qu'il est capable de faire quand il le fait avec le cœur : la traversée de l'Océan en bateau marque le début d'une aventure qui scelle le destin de ses occupants. Une gène s'immisce sur le parquet craquelé du navire, les personnages, et inévitablement celui d'Ann Darrow, ressentent la sensation d'être étrangers. Etrangers à une réalité qu'il n'était peut-être pas prêts à découvrir. Peu à peu, le bateau et son équipage s'enfonce dans un brouillard omniprésent, naviguant à vue sur une eau huileuse, approchant l'inconnu, et accompagné par un thème musical exceptionnel, conférant un aspect mystérieux, voir mystique à cette aventure extraordinaire.
Une fois arrivé sur l'île et au terme d'une séquence vraiment angoissante, Carl Denham et son équipe se rendent compte qu'ils ne sont pas seuls, et qu'un peuple indigène vénère une "bête" vivant de l'autre côté d'un mur géant. Ann est finalement capturée et offerte en sacrifice à celui qui se fait appeler "Kong". La suite est simple : l'équipage s'enfonce à l'intérieur de l'île afin de retrouver et ramener la belle. C'est pendant cette partie du film que Peter Jackson donne un véritable corps à son film, en y faisant vivre ( grâce à ses studios WETA ) dinosaures et autres insectes géants. Mais l'intérêt principal de tout ça, c'est évidemment Kong. Interprété par Andy Serkis ( en grande forme, comme d'habitude ), le gorille est somptueux, autant dans sa gestuelle que dans son apparence. Rapidement, un lien se créé entre lui et sa captive. Prisonnier de sa solitude, sur une île qui est sienne, Kong semble voir en Ann un compagnon. Elle le sort de sa torpeur en usant de son énergie débordante, dévoilant ainsi au spectateur que sous son apparence de dominant, sauvage et imprévisible, le "Roi" est en fait un être brisé, fatigué et n'aspirant qu'à la douceur.
Au delà de ces scènes intimistes, les séquences ahurissantes s'enchaînent, toutes plus réussies les unes que les autres, le néo zélandais prouve ainsi qu'il est roi dans la démesure. Le paroxysme ? Une séquence où Kong affronte non pas un, non pas deux, mais trois Tyrannosaures en protégeant Ann. Un combat dantesque, primal, mémorable.
Légitimement, le spectateur est en droit de penser que toutes ces scènes ne sont que des artifices, mis en scène par un maniaque des effets spéciaux dans le seul but de montrer qu'il est le maître du domaine. En effet, on peut reprocher à Jackson d'avoir fait preuve de narcissisme au cour de sa carrière. Cependant, King Kong marque sa remise en question, son autoportrait. Le personnage de Carl Denham est en réalité sa propre projection : réalisateur ambitieux mais rattrapé par la réalité économique ( ses producteurs refusent de le produire ), il ne lâche pas l'affaire mais tombe dans l'excès. Prêt à sacrifier les siens sur l'autel du sacro-saint spectaculaire, il apparaît comme peu scrupuleux, mais une fois derrière sa caméra à faire ce qui lui tient le plus à cœur, Carl prouve qu'il est d'une grande sensibilité et qu'il fait ce qu'il aime avec la passion la plus solennelle.
Régulièrement spectaculaire, King Kong est une œuvre qui ne se perd pas pour autant dans sa propre jungle d'effets spéciaux, car malgré le fait que Peter Jackson soit plus un tailleur de roc qu'un sculpteur de diamants, le film sait se maîtriser, en prenant le temps de faire des pauses où la contemplation prend le pas sur le spectacle. En résulte une œuvre faite avec le cœur, ce genre de film qui nous fait aimer le cinéma. Jackson à boucler la boucle