C'est assez étrange que le film s'appelle Klute (du nom du détective) et non pas Bree (du nom de la call-girl), tant c'est bien elle qui porte le film. Donald Sutherland et son visage émacié campent parfaitement ce privé froid comme une lame, mais ce statut de provincial rebuté par New-York aurait pu être mieux exploité.
Bree est clairement celle qui incarne l'histoire. Quand on tapine avec l'espoir d'une carrière d'actrice, on cultive de fait un côté caméléon: jolie sans être fatale, mélancolique et forte à la fois, lumineuse face aux clients malgré sa part d'ombre, comédienne douée pour leur dire ce qu'ils veulent entendre mais perdue hors de ce cadre. Je pense aussi à cette belle scène où elle regarde un enfant d'un air songeur, puis effleure le dos de Klute avec son visage, envieuse au fond d'elle-même d'une vie normale avec mari et enfant. Une personnalité finement détaillée donc, grâce à une réalisation qui laisse à la lucide Bree le temps de s'épancher, et accolle à ses mots du jazz ou une mélodie "godfatheresque" parfaitement dans le ton.
Versant polar, Pakula joue habilement sur la menace invisible plutôt que sur sa présence. Bree est souvent filmée à la dérobée, suivant le point de vue d'un rôdeur, pour donner corps à sa paranoïa. Le son prend parfois plus d'importance que l'image: les appels téléphoniques anonymes, la musique angoissante mêlant tic-tac froid et voix lascive, et surtout cette idée du mystérieux magnétophone filmé en gros plan... restituant sur le vif des épisodes sensuels ou violents, et devenant au fil du récit un personnage à part entière. Pas du spectaculaire donc, mais un registre nébuleux intéressant.
Il manque pas grand chose au tout en fait, un peu de piment, de crasse new-yorkaise (comparé au boulot de Scorsese sur Taxi Driver par exemple), et une coiffure moins Ziggy Stardust pour Jane Fonda.