Symphonie des siècles.
En 1 heure 30, c'est une constatation à la fois amère (sur les travaux) et bienveillante (sur la fatalité de la déchéance humani-terre) qui surligne un montage semblant résumer finalement 1000 siècles.
Narration de la déshumanisation.
Ancien paroissien, Godffrey Regio a eu le déclic sur le potentiel cinématographique en visionnant un film de Luis Bunuel. Ainsi, seul le public, dont je doute qu'il soit constitué uniquement de personnes approuvant notre monde, entend sa propre version du discours uniquement imagé et "atmosphéré" par la musique. Rarement un film laisse autant de liberté de pensée et d'analyse à son spectateur, même lorsque la vision grossit le trait sur l'image.
Observation inédite et suprêmement cinématographique de notre condition humaine moderne.
Bien que son propos soit aujourd'hui acquis à tous et devient de plus en plus un enjeu politique de premier plan (sauf dans les pays-autruches bien entendu), une clairvoyance pareille sur le cul de sac dans lequel fonce la société mondiale n'était pas commune en 1982 ! D'autant plus qu'aujourd'hui, son imagerie interpelle des moments historiques survenus plus tard, comme le 11 Septembre ou, encore plus récemment, le Covid-19.
Messe Apocalyptique.
C'est une chose unanimement reconnue, la musique de Philipp Glass est le réel langage, incroyablement solennelle, du film. Et c'est impressionnant qu'elle se maintienne à ce point-là durant tout le film avec cette constante qualité (et surtout cohérence), en parfaite adéquation avec Reggio, et ce en toutes circonstances par rapport au rythme du montage.
Langage universel lié à l'union entre l'image et le temps.
Je n'avais encore jamais vu le temps diégétique d'un film utilisé pareillement ; le rythme se tord et se distords, est malléable selon les préoccupations existentielles des séquences. N'importe qui peut voir ce film et se sentir interpellé ; on peut ne pas l'aimer, on ne peut pas par contre ne pas se sentir contacté par le film.
Des images restent gravées à vie. La mère et ses enfants qui restent fixés devant une télé, dans un centre commercial, alors que tout autour d'eux est accéléré. Les vieux qui se sentent totalement paumés dans des villes bondées de monde. La centrale nucléaire à côté d'une plage. Les innombrables véhicules, et surtout cet avion qui n'en finit pas de se rapprocher de nous. Et cette séquence finale, pouah... Je n'ai pas les mots pour décrire mon admiration au cadreur (puisque la séquence est une archive), qui n'a pas quitté la fusée et sa chute, et qui a réussi à parfaitement le filmer lorsqu'elle retombe en tournant sur elle-même et en fixant la Terre : parfaite métaphore de notre déchéance, parfaitement illustrée par Glass, parfaitement exprimée par l'image de cette fusée. Cette fin a quelque chose de vraiment posant, ça remet toutes les perspectives à leur place. Comme l'ensemble du film, mais en encore plus puissant. "Koyaaniquatsi" fait réfléchir, te parle, et te remet à ta place : presque une rééducation partielle.
Ce que je regrette profondément par contre, c'est que j'ai l'impression sauf erreur que les seuls lieux de tournage concernés aient été les USA. Je peux comprendre, le film a un budget très limité et c'est justifiable au vu de son traitement culotté (merci Coppola, comme d'habitude), mais c'est dommage quoi, pour un film aussi profondément intemporel et universel... Rarement ces deux adjectifs auront été autant appliqués sur un long-métrage, et avec une telle intensité lucide.
Le genre de films à diffuser dans les écoles. Le genre de films qui ne peut que pénétrer mon monde en moins de temps qu'il ne faut pour apprendre à écrire correctement le titre.