"En écoutant le nouvel album de Stromae, l'auteur de cet avis écrit sur ce film qui l'intrigue depuis qu'il a vu sa bande-annonce, Kung-fu Zohra. Il se demande ce qui peut bien se cacher derrière un titre aussi curieux."
"Dis la voix off."
"Quoi ?"
"Tu peux fermer ta gueule ?"
"Mais je raconte ce que tu écris."
"Les gens le voient bien, ils sont pas cons."
"Je suis raccord au film, je raconte ce que le spectateur voient. Tu comprends mieux ?"
"Oui, mais ferme ta gueule quand même."
"C'est bon elle est partie ? ... Bien, bonjour, c'est l'auteur de cet avis, on va pouvoir commencer, désolé."
Profitons-en un instant pour être encore un peu plus salé : Kung-fu Zohra aurait largement gagné à ce que cette connasse de voix off insupportable ferme sa grande gueule, d'autant que le nouveau film de Mabrouk el Mechri est bien plus personnel et dense que ne le laisse entendre son titre. Non, le réalisateur ne nous livre pas le nouveau film communautaire populaire français qui va faire pouffer des cargaisons de spectateurs en mal de racisme ordinaire. Mabrouk el Mechri se raconte, il raconte en partie l'histoire de sa mère, romancé, mais terrible.
Le coeur de Kung-fu Zohra, croyez-le ou non, sont les violences conjugales et cette espèce de perversion narcissique et l'ascendant psychologique de ce mari manipulateur sur sa femme Zohra. Ces sensibles thématiques sont abordées de manière frontale et presque effrayantes tant l'interprétation de Ramzy Bedia en mâle dominant est criante d'une vérité tangible. Les étapes de cette manipulation font planer l'ombre de ce géant à chacune de ses apparitions tant le rapport de force est autant physique que visuel et l'implication de son innocente fille, comme monnaie d'échange, malsaine. Dans ce maelström de violence, rien est facile, rien est expédié, le récit prend son temps, peut-être trop, pour amener son personnage féminin à enfin prendre les armes.
C'est là qu'il faut s'accrocher et accepter la singularité de l'oeuvre, véritable hommage passionné au cinéma d'art martiaux Hong-kongais époque Shaw Brothers, le Kung-fu. Si l'idée n'est pas réaliste dans l'immédiat, elle n'en est pas moins crédible dans la symbolique qu'elle déploie. Ainsi, l'apprentissage du kung-fu par Zohra est le catalyseur des violences physiques et psychiques qu'elle subit à longueur de journée. Mabrouk el Mechri en véritable amateur du genre s'en donne à coeur joie de référencer son histoire et de lui rendre hommage autant par le cadrage (le vieux maître chinois incarné par Shue Tien, ralenti, zoom, gros plans, plans désaxés, montage...) que par le soin apporté aux chorégraphies exécutées par l'impressionnante Sabina Ouazani investie corps et âme dans la dualité intérieure/extérieure de son personnage.
C'est curieux, c'est dissonant, parfois génant il faut le dire, mais il y a trop de sincérité dans ce long-métrage que l'on préférerais éviter d'en aborder certaines de ses limites. À commencer par un climax encore une fois excellemment chorégraphie, mais au ton hors propos et bien trop cartoonesque comparé à l'enjeu dramatique qui oppose le couple. C'est assez frustrant, d'autant que cette séquence pouvait être tout autant crédible sans cette légèreté soudaine.
Soit, il y a peut-être une idée derrière ce ton qui me serait passé au travers, mais il en est un autre choix, cette fois-ci impardonnable, en plus de la voix off, l'après climax. Une longue séquence style "justicière" dans un centre commercial. Les chorégraphies sont géniales, les plans lisibles et le montage rythmé. Mais voilà... cette séquence d'action est diffusée à droite sur 1/4 de l'écran pendant que le générique défile sur la gauche. Le choix aberrant d'une séquence qui a dû demander un temps de préparation physique, technique et de tournage monstrueux... et on y voit que dalle... Bravo ! Mais alors, bravo !
Cependant, Kung-fu Zohra est une surprenante découverte traitant ses deux thématiques, avec sérieux pour l'une et amour pour l'autre, admirablement bien. Si dissonances et choix douteux il y a, récompenser ce projet pour ses qualités extrinsèques/intrinsèques et son audace serait la moindre des choses.