Ah je suis partagé…
Je suis partagé parce que d’un côté j’avoue avoir apprécié un film sobre, propre et efficace de la part de ce bon vieux Thomas Vinterberg (et qui plus est sur un sujet qui me fascine pas mal : les sous-marins), mais de l’autre j’ai un énorme souci sur la finalité de ce film qui se risque à prendre parti sur un événement très délicat à traiter et encore sujet à controverses.
Alors oui, je sais qu’on pourrait se dire que je me crispe sur un détail mais pour moi ça n’en est pas un.
C’est vrai qu’après tout, on ne regarde pas forcément un film pour sa véracité historique.
Si l’histoire racontée est forte, si elle expose une face de l’humanité touchante et pertinente, pourquoi la rejeter sous peine de quelques aménagements fictionnels au service du propos ?
…Eh bien justement, dans le cas de l’affaire du Koursk, il est difficile de percevoir les choix narratifs comme n’étant que de petits aménagements.
Soit on présente des évènements qui corroborent la thèse officielle de l’accident de torpille – thèse qui renvoie l’armée russe à ses propres errements – soit on accrédite la thèse du journaliste Jean-Michel Carré de la collision et du torpillage par un sous-marin américain, et dans ce cas là on se retrouve avec une histoire bien différente qui nous dit tout autre chose.
Je l’avoue, dans l’état actuel de mes connaissances, je peine à trancher avec un taux de certitude suffisamment convenable en faveur de l’une des deux versions.
Et si d’un côté je ne veux pas sombrer dans la théorie du complot, de l’autre je ne veux pas non plus balayer d’un revers de la main certains éléments troublants qui sont actuellement présents dans les deux versions. Si bien que, face à une telle situation de flou, j’avoue mon malaise à voir un film trancher aussi sereinement la question, comme si aucun doute n’était possible.
Parce que pour le coup, dire ainsi et sans ménagement que toute cette histoire n’est au fond qu’une incroyable et dramatique illustration de pauvres marins sacrifiés sur l’autel de la désuétude et de l’entêtement de l’armée russe alors qu’il y a encore beaucoup de zones d’ombre sur la réalité de cette affaire, c’est pour moi prendre là un sacré parti pris qui relève presque de la propagande inconsciente.
Alors après, est-ce que ç’en est à un tel degré qu’il est devenu pour moi impossible d’apprécier ce film ? Franchement : clairement pas…
Même si ce détail de fond m’a régulièrement perturbé lors de mon visionnage. A dire vrai, ce film accumule des choix qui m'ont permis de profiter du soin et de la sobriété globale de cette œuvre.
D’un côté j’apprécie qu’on sache porter cette histoire à hauteur d’humains, que ce soit les marins, les femmes et les enfants, et qu’on le fasse avec cette sobriété assez proche de la culture russe (Matthias Schoenaerts est encore une fois – après le récent « Red Sparrow » – l’homme de la situation), mais de l’autre j’ai régulièrement tiqué sur ce choix qui a été fait d’avoir recours systématiquement à la langue anglaise. Dans un film où on passe du camp russe au camp britannique assez régulièrement, je trouve que cela pose une homogénéité linguistique assez perturbante ; aussi perturbante que d’entendre des chants de l’armée russe entonnés dans la langue de Shakespeare.
Sur ce plan, le « A la poursuite d’Octobre rouge » de John McTiernan avait su trouver un habile équilibre dont Thomas Vinterberg aurait pu s’inspirer ici.
Même souci avec la construction globale de l’intrigue. Si d’un côté je trouve le sectionnement progressif de l’intrigue en trois tronçons (marins, familles, officiers) globalement efficace et pertinent (surtout quand on sait déjà à l’avance qu’aucun marin n’y réchappera), d’un autre côté je ne peux m’empêcher d’être frustré par un film qui ne sait pas aller au-delà de ce qu’on était en droit d’attendre de lui.
Il y a un petit côté film de commande impersonnel dans ce « Kursk », ce qui n’arrange rien au malaise que je ressens à son égard.
Parce qu’après tout la question peut aussi se poser ainsi : pourquoi faire un film sur le Koursk ?
Quelle était l’utilité ? Quelle était la finalité ?
Si l’envie était de s’attarder sur le sort d’hommes valeureux qu’on sacrifie sur l’autel de la patrie, alors il existait d’autres sujets, bien moins délicats et bien plus intéressants à adapter.
Ce « Kursk », pour moi c’est une sorte de pari scabreux pour un objectif finalement assez classique – une équation étrange somme toute – mais qui, et il faut lui reconnaitre ce mérite, parvient malgré tout à fournir un résultat qui est loin d’être honteux.
A défaut d’être mémorable, il n’est pas si désagréable que cela à regarder.
Donc l’un dans l’autre, pourquoi pas…